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qu’il déclare former, de concert avec les raccourcis, la eccellenza della scienzia della pittura. (Traité de peinture, paragraphe 671.)


La biographie de Giorgione tient en peu de lignes : rien de plus uni ni de plus facile jusqu’à la catastrophe qui arrêta si brusquement une carrière qui promettait d’être si brillante. Mais que de réflexions ne suggère pas l’étude de son œuvre ! Et tout d’abord, avant d’entrer dans la discussion de ces peintures aujourd’hui si recherchées, je dois en signaler l’extrême rareté. Une demi-douzaine de tableaux authentiques, voilà, ou peu s’en faut, à quoi se réduit l’œuvre de Giorgione. Quand j’aurai cité, à Castelfranco, la Vierge entre deux Saints ; à Venise, dans la galerie Giovanelli, la Famille de Giorgione ; à Florence, le Jeune Moïse faisant l’épreuve du feu, le Jugement de Salomon (et encore celui-ci est-il discuté), et le Concert ; puis au Louvre, le Concert champêtre, dont MM. Crowe et Cavalcaselle contestent l’authenticité ; au musée de Vienne, les Trois Philosophes ; au musée de Berlin, un portrait de jeune homme, j’en aurai épuisé la liste. Les autres tableaux, soit sujets religieux, soit allégories, soit portraits, sont, en effet, tous trop douteux ou trop ruinés pour servir de points de repère.

Giorgione débuta, comme son maître Jean Bellin, par des tableaux de sainteté. À ce moment, il se conformait encore sur certains points aux traditions des Primitifs, tout en essayant de s’affranchir sur d’autres de toutes entraves. C’est ainsi qu’il proscrivit impitoyablement les fonds d’architecture : ces lignes savantes et inflexibles, qui supposait, il faut bien l’ajouter, une grande somme de connaissances positives, telles que la perspective linéaire, répugnaient à son génie libre et indolent.

Les deux tableaux du palais Pitti, que l’on range parmi les productions les plus anciennes de Giorgione, Moïse enfant soumis à l’épreuve du feu et le Jugement de Salomon, sont exactement conçus dans les données du quattrocento. L’artiste y a mêlé les costumes turcs aux costumes italiens du temps : il a coiffé Pharaon d’un turban et habillé ses esclaves de chausses collantes. Comparez ses figurines, juxtaposées plutôt que groupées, élégantes et piquantes, à la Cour d’Isabelle d’Este, de Costa, l’habile peintre ferrarais, exposée au Louvre, le principe est le même : laisser là les draperies classiques, tout comme les types de convention, pour s’attacher uniquement aux modes contemporaines ; renoncer à toute recherche de la couleur locale, aux scènes savamment rythmées ; en un mot remplacer la peinture d’histoire