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maître s’efforce, dans une série de Madones, la plupart représentées à mi-corps, de renouveler par toutes sortes d’artifices un thème vieux de dix siècles. Telles sont la Vierge au Parapet ou la Bohémienne (ainsi nommée à cause de son teint basané), au Musée de Venise, la Vierge aux Cerises, au même Musée, la Vierge aux Roses, au musée des Offices, etc.

En 1507, la réputation du peintre de Cadore est assez solidement établie pour que le Sénat de Venise lui confie, concurremment avec Giorgione, la décoration du Fondaco dei Tedeschi. Il ne reste que des fragmens de ces fresques.

Vers 1509, le Titien se rend à Padoue, où il peint, également à fresque, dans la Scuola del Santo, trois scènes de l’Histoire de saint Antoine de Padoue : le saint faisant proclamer par un nouveau-né l’innocence de sa mère, l’époux jaloux tuant sa femme, le saint guérissant le pied du jeune homme. Dans l’esquisse originale de la seconde scène, un incomparable dessin à la plume, conservé à l’Ecole des Beaux-Arts, l’artiste fait preuve d’une souplesse, d’une liberté et d’une harmonie indéfinissables. Il s’y montre à la fois le dramaturge consommé et le peintre que chacun sait. Ces compositions étaient terminées en 1511 : elles complétaient un cycle auquel avaient travaillé Domenico Campagnola de Padoue, puis Giovanni Contarini.

Lorsque le Titien se fixa de nouveau à Venise, Giorgione venait de mourir, et Jean Bellin touchait à l’extrême vieillesse. Il se trouva donc tout naturellement appelé à prendre le premier rang dans l’Ecole vénitienne ; aussi, à partir de ce moment, son existence ne fut-elle plus qu’une succession de triomphes : choyé par ses concitoyens, qui lui accordèrent en 1516 la charge si enviée de contrôleur du Fondaco dei Tedeschi, devenue vacante par la mort de Jean Bellin, adulé par tout ce que l’Europe comptait d’illustrations quelconques, — poètes, savans, souverains, — il avait peine à suffire aux commandes. De près et de loin, on lui demandait des tableaux de sainteté, des compositions mythologiques, des portraits. Bientôt il n’y eut plus d’église de la Haute Italie qui ne tînt à honneur de posséder un retable signé de ce nom illustre.

L’artiste profita de ce changement de situation pour se marier : de ce mariage, on ne sait qu’une chose, c’est que sa femme s’appelait Cécile, donna Cecilia. On incline à croire qu’elle avait Venise pour patrie. Sa mort, arrivée en 1530, porta à son époux un coup cruel, car l’union, — tout nous autorise à l’affirmer, — avait été des plus heureuses (Titien, au milieu des grandeurs, resta toute sa vie profondément attaché aux affections de famille).