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l’étude de sa vie et de ses longues relations avec Richelieu. Cette étude nous manquait. Un ancien élève de l’Ecole des chartes, M. G. Fagniez, après douze ans de recherches, vient de nous la donner.

Notre époque, éprise d’exactitude, a renouvelé l’histoire. La vérité générale du récit ne lui suffit plus ; elle veut la précision rigoureuse du détail. Elle la demande à l’examen et à la comparaison des documens originaux. L’Ecole des chartes a tracé la voie et pris la tête du mouvement, où tout le monde l’a suivie. On ne peut plus aujourd’hui aborder l’étude d’un sujet historique sans emprunter aux chartistes leur sévère méthode d’investigation.

M. Fagniez est parti de l’idée naturelle et juste que les capucins avaient dû conserver des documens sur un des membres les plus illustres de leur ordre. Il a cherché d’abord de ce côté. Puis il s’est adressé aux calvairiennes, congrégation féminine fondée au XVIIe siècle sous l’influence du Père Joseph, et à M. Arthur de Rougé, un des héritiers de la famille à laquelle appartenait le capucin. Enfin il a fouillé toutes les archives, tous les dépôts publics ou privés de l’Europe, tous ceux du moins dont la porte est ouverte ou seulement entre-bâillée.

Il existe, au couvent des capucins de la rue de la Santé, une biographie manuscrite du Père Joseph, écrite par un prêtre nommé Lepré-Balain, à la demande des calvairiennes, sur des renseignemens de première main fournis par l’entourage du capucin et sur des notes autobiographiques laissées par lui. Malheureusement l’ouvrage de Lepré-Balain, rédigé dans une pensée d’édification, ne s’occupe que de la vie privée du capucin et de son action religieuse. M. Fagniez n’aurait donc apporté qu’une lumière incomplète sur ce que nous recherchons dans la carrière du Père Joseph, c’est-à-dire sur sa collaboration avec Richelieu, s’il n’avait découvert ou plutôt identifié un autre document d’un intérêt bien supérieur.

Tous ceux qui ont fréquenté le département des manuscrits à la Bibliothèque nationale, en vue d’étudier le XVIIe siècle, ont tenu dans les mains un ouvragé incomplet intitulé : Supplément à l’Histoire et l’ont examiné avec curiosité. Ils se sont demandé quel pouvait être le personnage assez initié aux négociations les plus secrètes du règne de Louis XIII pour les avoir exposées avec une telle précision et une telle exactitude dès le milieu du XVIIe siècle, époque à laquelle remonte, d’après des signes indubitables, la rédaction du mystérieux document. Léopold Ranke, le grand érudit allemand, a voulu avoir le mot de cette énigme. Il a étudié le manuscrit, et il a dit : Ce sont les Mémoires du Père Joseph. D’autres hypothèses ont été proposées. Inutile désormais de les