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conduire et m’élever à ce haut degré, je n’ai pas voulu différer davantage de vous en donner avis. » Il le priait donc « de hâter son voyage à cause qu’il avait d’importantes affaires dedans et dehors du royaume sur lesquelles il y avait à prendre résolution et qui pressaient, qu’avant de les résoudre il lui voulait communiquer. »


II

A partir de ce moment, les relations entre le Père Joseph et Richelieu prennent un caractère nouveau. Jusqu’alors le capucin s’est trouvé avec le prélat sur le pied de légalité. En certaines circonstances il a paru même lui servir de protecteur. Tout est changé désormais. Richelieu est devenu chef des conseils du roi. Il peut donner libre cours à son esprit dominateur. Il veut que tout cède devant lui. Non pas qu’il affecte de la brusquerie ou de la hauteur dans les manières ou de la hauteur dans les relations. Au contraire, il est plein d’égards pour les personnes, jusqu’au jour où il reconnaît que, ne pouvant les attacher à sa politique, il a tout à craindre de leur hostilité avouée ou de leurs secrètes menées ; alors il se décide à frapper et il frappe sans pitié. Du Père Joseph il n’eut jamais à se venger, parce qu’il n’eut jamais à craindre. Entre eux la confiance était réciproque et absolue. Du côté du capucin, elle était fortifiée par une sincère admiration pour le génie de Richelieu ; du côté de celui-ci, par un goût très vif pour l’esprit fertile et plein de ressources du Père Joseph. Il va faire de lui le principal instrument de sa politique extérieure.

L’affaire de la Valteline fut la première dans laquelle le capucin eut l’occasion de montrer, au service du ministre, ses talens de négociateur. Son dévouement au cardinal allait se trouver en conflit avec ses sentimens de déférence pour le saint-siège et ses scrupules religieux ; en effet, il s’agissait d’entrer en lutte, non pas seulement contre la politique de l’Espagne, mais contre celle du pape Urbain VIII. Le Père Joseph n’hésita pas et se jeta délibérément dans une voie nouvelle pour lui. La curie romaine allait avoir affaire à un rude jouteur. Le nonce Spada, qui ne le connaissait pas encore, le jugea du premier coup avec une finesse tout italienne : « Ce capucin, écrivait-il, le 25 janvier 1625, au cardinal Barberini, neveu du Pape, peut être un homme de bien, c’est certainement un négociateur habile ; mais sa façon de négocier est pleine de réticences et de faux-fuyans. Il ne fait qu’un avec Richelieu ; mais si, dans cette union intime, l’amitié est égale des deux côtés, l’influence ne l’est pas, le religieux subissant