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intérêts d’estat qui lient les princes et autres les intérêts du salut de nos âmes qui, nous obligeant pour nous-mêmes à vivre et mourir en l’Église en laquelle nous sommes nés, ne nous astreignent, au respect d’autruy, qu’à les y désirer, mais non pas à les y amener par la force et les contraindre. » Il sut faire accepter ces idées à un roi dévot et scrupuleux, à un moine d’une ardente piété. Il envoya le marquis de Cœuvres, sous le nom d’ambassadeur extraordinaire, auprès des Suisses et des Grisons, en réalité pour préparer une expédition dont ce personnage devait être le chef. Pendant ce temps, le Père Joseph amusait la nonciature et la curie romaine par des négociations. Quand les préparatifs militaires furent terminés, Cœuvres se démasqua, et en trois mois la Valteline fut entre ses mains. À la suite de ce coup de théâtre, un capucin, italien celui-là et au service de la cour de Rome, le Père Ignace, écrivait à l’empereur Ferdinand II : « On dit que, quand le cardinal de Richelieu veut faire quelque bon tour, pour ne pas dire quelque fourberie, il se sert toujours de personnes pieuses. » L’allusion vise, non pas seulement le Père Joseph, mais aussi Bérulle, qui avait été mêlé à la négociation. Seulement l’oratorien avait dû être trompé par Richelieu, tandis que le capucin était parfaitement au courant du caractère et du but de la mission dont il était chargé.

Nous ne ferons pas le récit des longues négociations qui suivirent l’occupation de la Valteline par les Français. Il faut le lire dans le livre de M. Fagniez, qui dévide avec une merveilleuse dextérité l’écheveau embrouillé de ces intrigues diplomatiques se croisant et s’enchevêtrant pour être enfin tranchées par la guerre ; car l’épisode de la Valteline ne fut qu’un des incidens qui précédèrent et préparèrent la grande lutte de la France contre les deux branches de la maison d’Autriche. Pendant dix ans, de 1625 à 1635, se déliant des forces de notre pays, ne sentant pas d’ailleurs son pouvoir suffisamment assuré, combattu auprès du roi par les grands, par les princes du sang, par cette même Marie de Médicis à laquelle il a dû son entrée dans le conseil, Richelieu n’ose pas tenter une entreprise dans laquelle, si la France ne réussit pas, elle risque de perdre son indépendance ou d’être démembrée. Il n’attaque l’adversaire que de côté, par des voies détournées ; il lui suscite des ennemis ; il pousse successivement contre la maison d’Autriche tous les princes d’Europe qu’il peut entraîner, catholiques ou protestans. Le Père Joseph, auquel il finit par confier à partir de 1632 toutes les affaires d’Allemagne, est son instrument le plus utile et le plus actif. Comment le capucin peut-il concilier ses idées d’autrefois avec ses actes d’aujourd’hui ? Le