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l’élan d’une gaieté héroïque. Les contemporains semblent suivre, tambours voilés et l’arme penchée vers la terre, les funérailles de leur bonheur. Quand l’enthousiasme des uns serait aussi exagéré que le dénigrement des autres, s’imagine-t-on que leur erreur soit égale ? Les contemporains se vantent de n’être plus dupes comme les grognards, ils sont dupes d’une autre manière, dupes du mal comme les autres du bien. Qu’ils aient voulu faire acte de littérateurs ou de citoyens, ce sont eux qui se sont trompés davantage. Le pessimisme est une forme inférieure de l’art parce qu’il cherche la laideur et que l’art a besoin de la beauté. Le beau seul est joie, consolation, exemple. Le laid n’enseigne pas, il attriste, il repousse. L’art qui cherche et exagère la laideur, si parfait soit-il dans ses procédés d’exécution, ne vaut que par son effort, il se trompe d’objet, il ne saurait égaler l’art qui met une puissance égale au service du beau. Le pessimisme est anti-social. Voir les choses plus tristes qu’elles ne sont, c’est ajouter aux motifs de mépriser ou de haïr la vie ; découvrir en elles ce qui est légitime, utile ou grand, c’est apprendre aux hommes le dévouement, la persévérance, la fierté. Combien ces sentimens sont plus nécessaires, quand il s’agit de l’armée ! Non pas que là aussi, là surtout, il ne faille combattre les abus, mais l’essentiel est de ne pas les dénoncer de manière à détruire la confiance. C’est ce ressort que brisent les contempteurs d’aujourd’hui, c’est ce ressort que tendaient les enthousiastes de jadis. Et, bien que leur vaillance ait peut-être, comme avait leur costume, trop de plumet pour notre goût, l’opinion leur a donné raison, elle ne s’est pas lassée de les lire, elle a acclamé ces morts qui revenaient pour enseigner la belle humeur aux vivans.

Un autre caractère commun à cette littérature de dénigrement c’est l’égoïsme qu’elle révèle. Quoi qu’ils décrivent, quoi qu’ils jugent, ces auteurs pensent toujours et uniquement à leur personne. C’est autour de leur moi que tourne l’immense machine, et chacun d’eux aurait pu prendre pour titre de son livre : « Des rapports entre l’armée et mes aises. » Cette incapacité de s’oublier jamais, quand ils jugent une institution qui a pour base le sacrifice de l’individu, devient ici un non-sens, et il suffit de constater la disproportion entre la place qui, dans leurs livres est laissée à la patrie et celle qu’ils se font à eux-mêmes. Quand M. Perrichon ayant lui aussi traversé les Alpes voulut perpétuer le souvenir de ce passage, il songea au tableau célèbre où l’on devait voir un Perrichon immense et un tout petit Mont-Blanc. Il est l’inventeur de la méthode qu’ont employée nos littérateurs. Ils sont les Perrichons de l’armée.