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Afrique ils donnèrent à Massinissa et à ses successeurs non seulement le royaume de Syphax, mais cette partie du territoire de Carthage qui longeait le désert. La Numidie ainsi constituée devait former une sorte de ceinture autour de la province d’Afrique, qui la protégerait contre les invasions des nomades et permettrait aux sujets de Rome de cultiver en paix leurs plaines fertiles. L’inconvénient de ce régime, c’est que les royautés sujettes ne servent de rien si elles sont faibles, et que, si au contraire elles sont fortes, elles peuvent être tentées de se rendre indépendantes et devenir un danger au lieu d’être une défense. En Afrique, elles causèrent de grands embarras aux Romains, et pourtant on a vu qu’ils eurent beaucoup de peine à y renoncer : c’est seulement sous Caligula que le dernier de ces petits rois disparut, et que, dans le pays entier, le protectorat fut remplacé par l’administration directe.

Le système de l’occupation restreinte n’a pas eu plus de succès chez les Romains que chez nous. L’expérience leur montra vite qu’il ne leur était pas possible de se tenir dans les frontières étroites qu’ils s’étaient tracées. Au temps d’Auguste, les Gétules ayant attaqué la province furent vigoureusement refoulés dans leurs montagnes ; mais alors on s’aperçut qu’ils étaient aidés par les Garamantes, qui habitaient derrière eux : qu’on le voulût ou non, il fallut avoir raison des Garamantes pour être sûr que les Gétules resteraient tranquilles. Vers la même époque, Cornélius Balbus, le neveu de cet Espagnol dont l’amitié de César fit la fortune, franchissant la frontière, sans doute aussi pour punir quelques pillards, pénétra, jusqu’à Cidamus (Ghadamès) et traversa les oasis du Fezzan. A son triomphe, il fit porter sur des écriteaux, devant le peuple ébahi, les noms de vingt-six tribus, villes, rivières et montagnes inconnues, qu’il avait visitées et soumises, parmi lesquelles le mont Gyrus, « où naissent les perles ». Sous Claude, les Maures de l’Ouest s’étant révoltés, on envoya contre eux un général qui savait bien son métier, Suetonius Paulinus, celui qui plus tard conquit la Bretagne. Il n’était pas homme à se contenter d’un demi-succès. Il se mit à la suite des Maures, qui fuyaient devant lui, osa se jeter après eux dans des pays qu’on ne connaissait pas, pour les empocher de recommencer, et poussa, dit-on, jusqu’à ce fleuve du Maroc qu’on appelle l’Oued-Guir. Son successeur, Hosidius Géta, recommençant la campagne, pénétra si loin dans le désert qu’il faillit y périr de soif avec son armée et ne fut sauvé que par un miracle. On voit que les Romains prirent bravement leur parti, et qu’une fois convaincus qu’il leur fallait rompre avec la pratique timide des premiers conquérans, ils allèrent en avant sans hésitation.