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si grand nombre dans la légion ; mais de logemens particuliers il n’y a pas la moindre trace. Et ce n’est pas seulement la demeure du général qui est absente ; dans cet entassement d’édifices de toute sorte, il ne reste aucune place pour loger les soldats. On se souvient alors du texte d’Hérodien que j’ai cité plus haut, et l’on est confirmé dans la pensée qu’à l’époque où le camp fut réparé pour la dernière fois et mis on l’état où nous le voyons, ni le général ni les soldats n’y habitaient plus : ils profitaient de la permission qu’on leur avait donnée pour vivre ailleurs en famille. « La situation des légionnaires, dit Willmans, après le décret de Sévère, ressemblait à celle de la milice indigène de l’Algérie française sur la frontière de la Tunisie : les spahis, à une petite distance du camp fortifié, ont leurs tentes, ou plutôt leurs cabanes réunies en douars ; ils y habitent avec femmes, enfans, bestiaux, et ne paraissent au fort que pour faire l’exercice. »


V

Puisque les soldats ne logeaient pas dans le camp, peut-on savoir où ils demeuraient ? Rien de plus facile[1].

Sortons du camp par la porte de l’Est, nous rencontrons devant nous les amorces d’une grande voie romaine qui inclinait à droite, vers le midi. Nous en savons le nom : c’est la Via Septimiana. Elle passe d’abord à côté d’un mamelon pelé, qui est tout ce qui reste de l’amphithéâtre ; elle se perd ensuite sous des jardins qui la recouvrent pendant près d’un kilomètre, puis elle reparaît et aboutit à un arc de triomphe à trois portes, qui, tout ruiné qu’il est, conserve un air d’élégance et de grandeur. A partir de là, les décombres s’amoncellent de tous les côtés ; aussi loin que l’œil s’étend, on ne voit que des ruines : ce sont, à chaque pas, des monticules de terre, des amas de pierres brisées, avec des tronçons de colonne, des blocs de marbre et des fragmens de mosaïques. Nous sommes à Lambèse : c’est là qu’à deux kilomètres du camp, habitaient avec leurs familles les officiers et les soldats de la troisième légion.

Comme toutes les villes qui sont nées dans les mêmes conditions, Lambèse eut sans doute des débuts fort modestes. Ce ne devait être à l’origine qu’une de ces réunions de baraques de vivandiers et de fournisseurs, auxquelles on donnait le nom de canabæ legionis. Au bout de quelques années, ces baraques

  1. Les personnes qui, voyageant en Afrique, voudront visiter avec soin les ruines de Lambèse, feront bien de se munir du Guide que M. Cagnat vient de publier. En quelques pages il en fait l’histoire et conduit les touristes au milieu des ruines du camp et de la ville romaine. En lisant M. Cagnat, j’ai cru les visiter de nouveau.