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propriétaire la faculté d’hypothéquer son bien. On s’émeut, et je le comprends, à la pensée de la situation qui lui est faite lorsque son champ et sa maison sont mis à l’encan ; mais on oublie que la question a une double face. Si de 1881 à 1890, le chiffre des ventes sur saisies immobilières s’est élevé de 7 506 à 13 288, cette augmentation assurément très regrettable tient à ce que le nombre des propriétaires qui se sont vus dans la nécessité d’emprunter a augmenté. Mais tous ceux qui ont emprunté n’ont pas été saisis, et la facilité que notre législation leur laisse de donner en gage leur bien, quelle que soit son importance, leur a servi à se procurer l’argent qui les a aidés à se tirer d’affaire. Si l’on vient en aide aux uns, on rend donc plus difficile la condition des autres, et n’est-ce pas en tout cas un singulier moyen de témoigner sa sollicitude à Jacques Misère que de commencer par lui retirer un droit ? Il est vrai qu’on lui promet en échange l’organisation du Crédit agricole. Mais qu’est-ce que l’organisation du Crédit agricole ? Cette organisation n’a réussi que dans les pays où l’Etat ne s’en est pas mêlé et a laissé faire l’initiative privée. C’est juste le contraire qu’on se propose en France, et lorsqu’on aura retiré au paysan la faculté de donner son bien en gage, je ne vois pas trop en quoi pourra consister cette organisation, à moins qu’il ne s’agisse de contraindre l’infâme capitaliste à lui avancer de l’argent sans chance de remboursement. Pourquoi pas tout de suite sans intérêt ? Le homestead est cependant le remède le plus sérieux qu’on ait encore inventé.

Il ne faut pas croire qu’il soit sans inconvéniens d’exciter ainsi des espérances auxquelles on se trouve ensuite embarrassé pour répondre, car il se rencontre parfois des hommes de plus ou moins lionne foi pour vous le reprocher. Il n’y a pas longtemps, un journal catholique publiait une lettre d’un ouvrier de Reims qui, déclarant qu’il était dans une misère imméritée, et rappelant la nécessité proclamée par l’Encyclique de venir en aide aux hommes des classes inférieures par des mesures promptes et efficaces, gourmandait les catholiques de ne pas les avoir encore trouvées. Ce reproche en tout cas ne saurait s’appliquer à deux vénérables ecclésiastiques dont l’un a réussie se faire nommer député et dont l’autre l’a essayé sans y parvenir. Celui qui a réussi promet à chaque paysan un champ et trois hectares, insaisissables. Qui sera chargé de faire la répartition ? L’Etat, bien entendu. A quels procédés aura-t-il recours ? Ce sont là des détails d’exécution qui ne regardent pas l’inventeur du système. Quant à celui qui a échoué, son système est plus simple encore. Paysan, ouvrier, que chacun pendant quarante ans achète tous les jours deux sous