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II

Quand on commence par vouloir d’abord connaître, on est sur le chemin qui mène infailliblement à vouloir tout connaître. Aussi est-ce à cette qualité du public allemand, que je viens d’indiquer, que j’attribue ce qui doit le plus frapper un Français dans le théâtre allemand : l’universalité, l’internationalisme de son répertoire.

Quand on ne veut qu’être ému, éprouver une sympathie immédiate et irraisonnée pour l’œuvre entendue, qui fasse vibrer tout l’être de la façon qu’a désirée le poète, joyeuse ou mélancolique, tragique ou gaie, n’importe, il faut se garder de tout ce qui est trop étranger, car les choses étrangères, par tout ce qu’elles peuvent présenter de nouveau et de difficile à pénétrer, créent comme autant d’obstacles à l’impression directe, et en émoussent la vivacité. C’est ce sentiment, que nous avons tous en France instinctivement au fond de nous, qui explique selon moi pourquoi notre théâtre a toujours été et reste encore purement national., Les efforts que certaines sociétés privées, que la Comédie-Française ou l’Odéon même, ont tentés depuis quelques années pour acclimater sur la scène française quelques grands noms étrangers, Shakspeare et Gœthe, Ibsen et Tolstoï, n’auront sans doute encore de longtemps d’autre résultat que celui d’intéresser d’une manière un peu fugitive un groupe restreint de lettrés et de dilettantes ; et les faits eux-mêmes, les résultats acquis, les réflexions qu’ils suggèrent, donnent tout lieu de croire que d’une façon générale ces efforts n’auront pas d’autre portée. Pour qu’un étranger réussit à s’imposer véritablement à notre grand public, il faudrait qu’il fit preuve de qualités surtout françaises, ou tout au moins qu’il n’y eût presque rien en lui qui révélât l’étranger ; car, étant donnée la nature foncière de notre race, tout ce qui est étranger ne peut qu’échouer devant nous ; et on voit qu’il ne faut nullement attribuer ce fait à un instinct ou à un raisonnement égoïste, ni à un mépris irraisonné des choses, mais simplement à une façon d’être de l’âme française. C’est le revers inévitable d’une de nos meilleures et de nos plus charmantes qualités.

Mais au contraire, la conséquence inévitable des qualités de raisonnement et d’analyse dont fait preuve, au théâtre comme partout, l’esprit allemand, sera, pour nous restreindre à ce qui concerne le théâtre, de disposer le public allemand à vouloir tout connaître et tout juger, et, par suite, de le faire s’intéresser d’une manière effective à toutes les manifestations de l’art dramatique, de tous les temps et de tous les peuples.

Si notre admirable théâtre classique n’est plus guère, pour le grand public, pour la foule demi-lettrée qu’un objet d’admiration confuse