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surtout aux vagabonds de profession ? La pensée qu’à Paris on peut facilement être nourri et logé pour rien n’est-elle pas de nature à engendrer l’oisiveté systématique chez un certain nombre de Parisiens et, de plus, à attirer dans cette cité bénie tous les paresseux de la banlieue et même de la province ? Dans un asile municipal pour femmes que j’ai visité naguère et où l’on m’a donné avec beaucoup de bonne grâce tous les renseignemens que j’ai demandés, le nombre des Parisiennes d’origine n’était que de 330 contre 1 634 originaires des départemens. Il n’y a pas de raison de supposer que la proportion ne soit pas la même dans les autres.

Cette concurrence maladroite entre asiles de nuit privés et municipaux a eu de plus pour conséquence de réduire à néant les précautions que prenaient les asiles privés pour éviter que leurs hôtes se promenassent de maison en maison. Aujourd’hui rien n’empêche un amateur de couchage gratuit de se promener des asiles privés aux asiles municipaux, ou d’asile municipal en asile municipal, car aucune précaution n’est prise pour empêcher cette promenade. Naguère la directrice d’un asile municipal me citait le cas d’une femme qui avait trouvé le moyen, depuis ses couches jusqu’au moment où son enfant avait dix-huit mois, de se faire héberger et nourrir gratuitement d’établissement en établissement. Si l’on n’y prend garde, on développera à Paris l’existence d’une clientèle qui, systématiquement, ne couchera pas ailleurs que dans les asiles publics ou privés. Déjà cette clientèle commence à être connue des directeurs des asiles, et l’exemple de ce qui se passe à Londres est là pour montrer jusqu’à quel nombre elle pourrait atteindre. Il existe à Londres trente workhouses ayant chacun ce qu’on appelle un casual ward où l’hospitalité et la nourriture sont données à tout venant au prix d’un travail assez rude qu’on leur fait accomplir le matin avant leur départ pour les dégoûter de l’hospitalité qu’on vient de leur accorder. Or tandis que, depuis vingt-cinq ans, le paupérisme à Londres a diminué par rapport à la population, le nombre des hôtes de ces casual wards au contraire, a été sans cesse en s’accroissant : de 37 321 en 1879, il a passé à 47 797 en 1892, et la police estime que ce chiffre croissant constitue une population nomade qui n’a point de domicile et couche habituellement dans ces asiles. Sur ce nombre 15 665 ont été recherchés par elle pour diverses causes. Il ne faudrait cependant pas que l’émulation entre asiles privés et publics amenât dans notre grande capitale le développement d’une pareille population, et l’on est sur le chemin.

On pourrait citer à Paris encore bien d’autres exemples de