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paraphraser médiocrement et délayer cette inoubliable Tentation de saint Antoine, que nous avons tous entendu chanter et vu danser à Guignol, théâtre aimé de notre enfance. « Messieurs les démons, criait en se débattant saint Antoine, Messieurs les démons, laissez-moi donc ! » Et les démons, houspillant le saint, répondaient en chœur : « Tirons-le par son jupon ! » Cela sans doute n’était pas de la prose mélique, ainsi que le livret de M. Gallet ; cela manquait de la prestigieuse orchestration de M. Massenet, mais cela donnait une impression forte et durable.

Enfin, sur un retour du motif de la « méditation », Thaïs meurt agréablement, mais petitement, comme elle a vécu. Et puis il serait temps peut-être, pour accompagner le trépas des héroïnes d’opéra, de chercher autre chose que le rappel du thème de leur jeunesse et de leur passé. Depuis : « Voici la rue… Et voici le jardin charmant, » il me semble que le procédé a suffisamment servi.

Restons-en donc à la cantilène du petit Amour d’ivoire. « Je ne veux rien garder de mon passé, disait Thaïs, rien que cela. » Faisons comme elle, et ne gardons que cette page unique, cette goutte précieuse, d’une œuvre qui pouvait être la quintessence du talent de M. Massenet, et qui n’en aura été qu’une dilution.

On ne peut servir mieux que M. Delmas un rôle plus ingrat que celui d’Athanaël. Quant à la belle Mlle Sanderson, qu’on craignait de ne pas entendre et surtout de ne pas voir sur l’immense scène de l’Opéra, on l’a très bien entendue, et vue autant qu’il est possible. Comme on disait de Thaïs au théâtre d’Alexandrie, « les atomes qui s’associent momentanément pour composer cette femme présentent une combinaison agréable à l’œil. » Et de plus l’artiste a fait de sensibles, très sensibles progrès. Il est certain qu’elle commence à savoir chanter.


CAMILLE BELLAIGUE.