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d’honneur, que tout ce qui avait été promis serait fidèlement tenu, que le maintien de M. John Morley au ministère pour l’Irlande en était une preuve évidente, mais qu’une aussi grande réforme ne serait réalisable que lorsqu’elle aurait été acceptée par l’Angleterre proprement dite, qui est le principal participant dans l’union des trois royaumes. De plus, cette réforme ne peut pas se faire isolément. Il en est d’autres encore, qui ne sont pas moins nécessaires et urgentes et qui intéressent soit l’Ecosse, soit la principauté de Galles. Il s’agit là, comme on le sait, de la séparation de l’Église et de l’État, que les Écossais et les Gallois réclament et poursuivent depuis longtemps. Voilà donc la cause du home rule liée à deux autres et condamnée à marcher avec elles, du même pas un peu lourd. Lord Rosebery, interrogé quelques heures après cette déclaration, par lord Salisbury à la Chambre haute, l’a nettement renouvelée. Il n’est pas étonnant que les Irlandais en aient été peu satisfaits, mais les Écossais et les Gallois ne l’ont pas été beaucoup plus. Leur cause prime à leurs yeux toutes les autres et doit être résolue séparément et la première. De sorte que les déclarations de lord Rosebery, qui, dans la forme, avaient une fière allure, ont en réalité mécontenté tout le monde, et provoqué presque aussitôt un incident parlementaire auquel personne ne s’était attendu et n’avait pu se préparer.

M. Labouchère a présenté, au projet d’adresse à la Reine, un amendement ainsi conçu : « Nous demandons humblement à Votre Majesté d’abolir le pouvoir que possèdent à l’heure actuelle les personnes qui, faisant partie du parlement sans avoir été élues par les électeurs, empêchent que des bills soient soumis à Votre Majesté, et nous exprimons respectueusement l’espoir que, si cela est nécessaire, Votre Majesté, conseillée et appuyée par ses ministres responsables, exercera son pouvoir pour réaliser cette réforme urgente. » Cet amendement n’était autre chose que la traduction en langage radical de la déclaration de guerre que M Gladstone et lord Rosebery avaient lancée contre la Chambre des lords. Il laissait percer aussi une intention de défiance à l’égard de lord Rosebery, soupçonné de tiédeur. L’amendement a été voté à deux voix de majorité. Que l’accident soit dû à une surprise, rien n’est plus certain, puisqu’il a été bientôt réparé, et qu’il a suffi de prolonger la discussion pour la faire aboutir au vote d’un texte nouveau et inoffensif. On a accusé, à cette occasion, le nouveau whip libéral, M. Ellis, d’avoir manqué de vigilance, peut-être faute d’expérience, et de n’avoir pas rallié assez vivement les membres épars de son parti. Soit ! mais la gravité du symptôme n’est pas dans les deux voix de majorité qu’a eues l’amendement Labouchère ; il est dans ce que nous appellerions en France la décomposition du scrutin. Elle témoigne d’une confusion sans précédens. Les radicaux et les Irlandais ont voté l’amendement, indiquant par là leur tendance à se