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législatives ; qu’on délivre l’administration de leur ingérence tyrannique, fort bien ; mais faire nommer le chef du pouvoir par le suffrage universel, choisir les ministres en dehors des Chambres, risquerait fort de n’avoir d’autre résultat que de déplacer les abus. Il faut, dit-on, prendre modèle sur les États-Unis. Mais quand il serait possible, à une France unitaire, de copier la grande république fédérale, n’est-ce pas aux États-Unis que la plaie d’argent est la plus invétérée, et que le mammonisme est le plus puissant ?

Reste la panacée à la mode : l’extension des attributions de l’État. Voilà, du coup, un traitement avec lequel on est sûr de voir le malade empirer. Etendre la sphère d’action de l’État, accroître les droits du pouvoir, lui conférer la haute main sur les banques, sur les mines, sur les sociétés financières et industrielles, c’est agrandir, à l’infini, le domaine de la corruption administrative, avec le champ d’exploitation des politiciens qui représentent l’État et vivent de lui. Voulez-vous de nouveaux Panama, élargissez les attributions de l’État. L’État, le gouvernement, n’est pas un être de raison infaillible, impeccable, incorruptible ; l’État est représenté par des hommes en chair et en os, sujets à toutes les passions et à toutes les cupidités, qui ne cherchent souvent au pouvoir que les satisfactions de leurs intérêts, de leur ambition ou de leurs haines. L’État, c’est, dans la pratique, le parti au pouvoir ; c’étaient hier, en France, les patrons de Cornélius Herz ; car, en ce sens, État ou gouvernement, c’est tout un. Hélas ! ce n’est pas du dehors qu’il faut attendre la guérison. Le salut ne peut nous venir de l’État ; tout au rebours, c’est à nous plutôt de sauver l’État. Ce ne sont ni les lois ni les institutions, ce sont les hommes, c’est nous-mêmes qu’il faudrait changer. Nous avons moins besoin de révisions constitutionnelles, de réformes législatives, que de réformes morales ; et cela est autrement malaisé.


IV

Le mal est en nous, et ne peut être guéri par des remèdes extérieurs. Il ne nous est pas venu du dehors ; ce n’est point une fièvre jaune ou un choléra des Indes importé d’outre-mer, avec des produits exotiques, par des marchands de race étrangère ; c’est, à vrai dire, un choléra-nostras né, spontanément, chez nous, ou devenu endémique en Occident. Pour nous en défendre, peu nous servirait d’établir des lazarets à nos Frontières, ou des léproseries aux portes de nos villes.

Le mal est en nous, mal organique qui tient à notre