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Elle n’a jamais arrêté la décadence des nations. Tolstoï et les mystiques ont raison, à travers toutes leurs outrances : ni l’État, ni la loi, ni même la science n’ont de quoi fermer les plaies de nos sociétés. Le remède efficace est au dedans de nous, dans la rénovation morale.

Ici encore, si nous prétendons réformer la société, commençons par réformer l’individu, commençons par nous réformer nous-mêmes. Si nous voulons vaincre Mammon, sachons nous affranchir de tout ce qui donne à Mammon prise sur nos âmes. Et qu’est-ce qui lui donne prise sur nous, si ce n’est nos vices, notre mollesse affadie et débilitante, notre lâche amour du bien-être, notre fièvre de plaisirs ineptes et vides, la vanité qui est au fond de nos goûts de luxe, la sensualité qui est à la racine de nos besoins de confort, la satiété de blasés qui nous fait rechercher le ragoût des nouveautés coûteuses ? Est-ce tout ? Est-il besoin de nommer le vice qui est la grande anse par où l’argent a prise sur tant de nos contemporains ? la débauche secrète ou cynique, le libertinage grossier ou raffiné, dont notre époque a étendu les ravages à toutes les classes et à tous les âges ? La volupté, tel est le suppôt attitré de la royauté de l’argent, le grand agent de la corruption publique et privée. Asmodée l’impudique a toujours été le ministre de Mammon. Demandez aux bénéficiaires innomés des chèques d’Arton les conseils de probité que leur ont donnés le foyer de l’Opéra ou les coulisses des petits théâtres. Une société qui fait à l’Ève déchue, à la femme de luxe et de luxure, abjecte héritière des hétaïres grecques et des kedeshot syriennes, une place quasi officielle est vouée au joug de Mammon, à la servitude de l’argent. Les deux corruptions, la sensuelle et la vénale, les deux concupiscences de la chair et des yeux, comme s’exprime la vieille Église, se tendent la main. La vie morale forme une chaîne dont les anneaux se tiennent. Purifions-nous, élevons nos âmes, écartons de nous tout ce qui est vil, faisons fi des vaines délicatesses des sens, et Mammon n’ayant plus de prise sur nous, le règne de l’argent prendra fin.


V

Mais c’est trop demander à notre mollesse. Sommes-nous prêts à changer de vie ? Avons-nous seulement la sincérité de nous reconnaître coupables ? Il y a comme une vertu, un commencement de relèvement dans la confession du péché. Si nous n’avons pas le courage de nous convertir et de faire pénitence,