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inutilement les délibérations des conseils. » Peut-on mieux résumer les attributions du Parlement que dans cette petite phrase : « Elles s’étendent à tout quand il faut seconder le pouvoir de l’Etat ; elles se restreignent soudain, quand il s’agit de l’entraver ? » Si nous nous cassons la tête pour comprendre le rôle de tous ces « conseils » royaux qui s’enchevêtrent les uns dans les autres, deux mots nous remettent au point : « A certaines époques, on croyait utile de ménager les vassaux, les fidèles, et l’on ouvrait la porte à deux battans. En d’autres temps, le roi aimait à se renfermer dans le secret ; ses confidens peu nombreux tenaient avec lui dans l’embrasure d’une fenêtre. » Politique d’expédiens, qu’un jurisconsulte transformera demain en loi fondamentale du royaume. Les matières les plus arides sont relevées soudain par quelques mots frappans. Quoi de plus rébarbatif qu’un ancien budget, avec ses distinctions subtiles entre le domaine immuable et le domaine muable ? Voici cependant le trait de lumière : « Ce premier chapitre (domaine immuable) subsiste, dans le budget royal, comme la houlette dans la malle du berger devenu riche. C’est un souvenir de l’époque où le roi n’était qu’un seigneur d’avenir dans la grande armée féodale. » Un moraliste du XVIIe siècle ne désavouerait pas cette phrase sur les munificences royales : « Toute la paresse du royaume fut comme pendue à cette main libérale qui distribuait les rentes si largement. » Mais la phrase suivante nous ramène en plein XIXe siècle : « Imaginez que la moitié ou le tiers des revenus actuels du pays soit mis subitement à la disposition d’un de nos partis politiques ; supposez que ce parti puisse accorder des rentes viagères… aussi facilement que se fait aujourd’hui la distribution des bureaux de tabac, et vous apprécierez de quel poids une pareille innovation pèserait sur les destinées du pays. » Certainement, nous n’avons pas besoin d’un grand effort d’imagination. Il suffit de connaître l’intérieur d’un département français.

M. Hanotaux sait que, pour bien comprendre, il faut voir. Quand il nous décrit une institution, il met les hommes en scène, non pas en fantaisiste, comme Michelet, mais avec preuves à l’appui. Voici le régiment qui passe, « divisé par compagnies, en bel ordre, les hommes cinq par cinq, poitrines bombées, la jambe tendue, les panaches au vent, et la forêt de piques se mouvant par-dessus les têtes. » Pour rendre la familiarité dans laquelle le roi Louis XII vivait avec ses magistrats, il trouve cette jolie citation : « Le roi ayant quitté son palais aux juges… se retira au Bailliage tout contre le palais ; et pour ce qu’il avait les gouttes, il se promenait sur un petit mulet dans les jardins du Bailliage, où il digérait les affaires de l’Etat ; et lorsqu’il avait besoin de bon