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rapprochement qui amenait ce résultat, j’aurais fort hésité à le conseiller, tout en rendant justice à la loyauté des motifs qui décidaient quelques-uns de mes plus chers et meilleurs amis à y concourir : et si, une fois la transaction consacrée par plusieurs votes successifs et ayant le caractère d’un fait accompli, j’ai cru qu’il était patriotique de ne plus s’opposer à l’effort tenté afin d’en rendre l’application la moins mauvaise, la moins définitive, disons le mot, la moins républicaine possible, je fondais trop peu d’espérances et concevais trop peu d’illusion sur le succès pour avoir aucun goût à y travailler.

Mais une chose que je puis affirmer avec pleine connaissance, parce que, si je n’en avais pas obtenu la certitude, je me serais refusé même à ce tardif et pénible acquiescement, c’est que la condition de laisser au rétablissement de la monarchie une porte ouverte et légale fut expressément exigée d’un côté, et positivement acceptée de l’autre. Aucun doute, aucune équivoque ne put subsister à cet égard.

Les royalistes dissidens pensaient qu’il y allait de leur honneur à faire hautement savoir qu’ils n’avaient nulle intention de jurer foi et hommage à perpétuité à la République. A la rigueur, ils auraient pu trouver que cette déclaration n’était pas nécessaire, puisqu’une fois la souveraineté illimitée du peuple admise, la nation est toujours maîtresse d’adopter, de quitter et de reprendre-à son gré toute forme de gouvernement. Mais ils jugèrent que, suivant une expression fameuse, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant : et quand vint le moment de voter l’article 8 qui donnait au Congrès des deux Chambres réunies le droit de réviser les lois constitutionnelles, le rapporteur (qui eut soin de se faire interroger) monta à la tribune pour déclarer que ce droit de révision devait s’appliquer au principe tout aussi bien qu’au moindre détail de ces lois. Je tiens même d’un des assistans, qui avait pris part personnellement aux arrangemens intervenus, qu’au moment où le rapporteur descendit de la tribune, après cette déclaration, son voisin, qui n’était autre que M. Dufaure, se retourna vers lui et lui dit : « C’est bien là, n’est-ce pas, ce que vous vouliez, vous êtes content ? »

A la vérité, M. Gambetta, qui était présent, parut gêné ; il fit quelques réserves, et annonça qu’il les développerait dans une délibération suivante ; mais le jour venu du débat final, il resta muet. Il jugea sans doute qu’une position est toujours bonne à prendre, parce qu’il est plus aisé de la défendre que de la conquérir, et qu’il y a des cas où c’est le mot qui fait la chose. Il n’avait pas tort, et son silence fit preuve de ce sens politique qui