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auront-ils la mémoire aussi courte, et ne se souviendront-ils plus de ce qu’il oublie pour lui reprocher son apostasie ou se métier de la sincérité de sa conversion ? Ne sera-t-il pas accusé couramment de travailler encore sous-main en faveur du parti qui lui est cher ?

Si ce qu’on nous dit de la séparation du parti républicain en deux fractions, l’une radicale, l’autre modérée, est véritable, nous pourrions bien être arrivés à une situation de ce genre, et la triste condition que je dépeins pourrait être celle du Président actuel : ce qui expliquerait très suffisamment qu’il éprouvât quelque contrariété à s’y résigner, et même quelque scrupule à s’y prêter. Car l’Assemblée qui l’a élu, loin de se prêter à la division dont on nous parle, tenait au contraire la concentration républicaine pour un dogme sacré. Si j’ai même bonne mémoire, c’est précisément pour éviter cette scission que le choix s’est porté vers lui. Il a été nommé dans une journée critique (succédant à ce qu’on a appelé une nuit historique), où un conflit était sur le point de s’élever entre républicains, et pouvait donner lieu à des luttes matérielles et même sanglantes. Son nom que rien ne désignait la veille a été accepté sans d’autre mérite éprouvé que celui de paraître un gage et un élément de conciliation. On conçoit alors très bien qu’il lui répugne de s’employer aujourd’hui à l’opération directement contraire. Et si, parmi les républicains dont il devrait se séparer, il est des amis de sa jeunesse, des compagnons de combat avec qui il ait vécu, lutté, peut-être souffert, la peine qu’il éprouverait à les voir en face de lui, dans les rangs qu’il serait obligé de combattre, n’aurait rien qui ne lui fît honneur. Il pourrait très bien s’étonner que, la cause de son élection ayant disparu, l’effet en subsistât encore.

N’en doutons pas. Laissant de côté les circonstances présentes que je connais trop peu pour les bien apprécier, on peut affirmer d’une façon générale que le jour où il serait bien avéré à la suite d’une élection nouvelle que le Président ne serait plus que le représentant attardé d’une opinion répudiée par le suffrage universel, en quelque sorte une épave que la marée on se retirant aurait laissée sur la côte, son altitude serait tellement fausse que même pour quelques années qui lui resteraient encore à paraître en scène, il aurait peine à en supporter le désagrément.

Pour sortir de cet embarras, pense-t-on qu’il pourrait faire usage de ce droit de dissolution qui lui est remis pour un cas extrême ? Ce serait un acte d’énergie qu’on ne peut guère attendre d’un pouvoir si peu sûr de lui-même. Mais de plus, on ne voit pas