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Pendant que nos architectes habitués dès l’Ecole à tenir le plus grand compte des ouvrages excellens où ils ont formé leur goût et développé leur talent, s’efforcent avec une ardeur inquiète d’ajuster l’emploi des nouveaux matériaux que leur livre l’industrie aux règles de la proportion et de l’harmonie, là-bas, au-delà de l’Atlantique, le constructeur limite son effort à la satisfaction des besoins dont il s’est tracé le programme ; il cherchera plus tard à embellir son squelette, et quand il lui aura donné tous les organes nécessaires, il s’occupera de l’orner… s’il en a le temps. En deux mots l’architecte américain est un constructeur, l’architecte français, malgré tout, demeure un artiste. Si celui-ci emploie le fer, il voudra lui donner un caractère, une forme, un dessin qui satisfasse l’œil et réalise une certaine harmonie. Il fera de l’esthétique, même sans s’en douter. L’architecte américain se bornera à faire de la statique. Il calculera sans philosopher. Il se dit : Je veux le plus d’espace possible sur une surface la plus petite possible ; il me faut le moins de poids possible avec la plus grande résistance possible. Voilà le double problème. Quant aux proportions, quant à l’harmonie, quant à l’esthétique, il les traite en accessoires. Si elles ne détruisent pas ses combinaisons, il en mettra le plus qu’il pourra, car lui aussi connaît les lois de la perspective et il a cultivé l’art pur et l’ornementation, et la décoration, et les styles élégans ou majestueux ; souvent même à notre Ecole des Beaux-Arts ; il sait tout cela et en peut faire usage, mais il en gardera les applications pour l’intérieur ou pour des maisons de plaisance. Il ne s’agit pas ici d’amuser l’œil, il s’agit de besoins ; les satisfaire est de commandement impérieux.

Voilà pourquoi les architectes américains bâtissent des maisons hautes, très hautes, qui n’ont que quatre murs, les murs extérieurs. Aucun mur de division ne diminue à l’intérieur l’espace vide qui est peu différent d’étage en étage dans les premières constructions hautes, et qui ne l’est plus du tout dans les bâtisses nouvelles où les murailles elles-mêmes n’existent plus et ont été remplacées par de simples parois. Trois systèmes ont été pratiqués ; ils diffèrent sensiblement entre eux. Nous essaierons de les décrire sans l’aide du dessin et nous ferons remarquer que les transformations successives ont permis au constructeur d’employer parfois un système mixte ou de transition.


III

Le premier essai de « maison haute » a été fait à New-York en 1870. Elle n’avait que dix étages et s’élevait sur un terrain large de sept mètres cinquante centimètres, qu’à Paris on aurait