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une armée de réserve du même chiffre, à peu près complètement armée et prête au combat.

Au milieu de ces préoccupations, l’idée d’une grande réforme à la fois militaire et sociale, l’idée du service obligatoire ne cessait de hanter son esprit. Dans ce mois de juin 1809, où les nouvelles de la bataille d’Aspern avaient enflammé l’ardeur des patriotes, la commission militaire, dont la majorité suivait les inspirations de Scharnhorst, proposait de nouveau au roi le service obligatoire. Elle trahissait même d’autres préoccupations, et s’aventurait sur le terrain des réformes sociales ; car elle faisait allusion à la suppression des justices seigneuriales, et au projet de suppression du droit de police seigneurial.

Mais l’hostilité du roi était plus aiguë que jamais. L’insubordination de Schill, en lui montrant l’autorité du souverain, chef de l’armée, méconnue et violée, l’avait rendu de plus en plus ombrageux, de plus en plus accessible aux résistances du parti féodal. Les États de la Poméranie faisaient entendre, au moment même où Scharnhorst soumettait ses propositions au souverain, dans le concert continu des réclamations féodales, des accens particulièrement énergiques. Ils protestaient contre ce programme insensé de la liberté et de l’égalité française où la conscription, qu’ils confondaient, la connaissant peu, avec le service obligatoire, tenait pour eux la place la plus en vue. Et le roi, dont les penchans étaient de ce côté, leur donnait des paroles rassurantes et refusait d’accueillir les propositions de Scharnhorst.


V

Les Allemands rappellent encore avec orgueil et comptent pour un de leurs titres de gloire l’une des créations du ministère Altenstein-Dohna. Ils s’honorent d’avoir compris, à l’heure du plus extrême abaissement, quel est le lien qui rattache les destinées historiques d’une nation à son développement intellectuel et moral. C’est aux mois de juillet et d’août 1809, au plus fort de la crise autrichienne, que Frédéric-Guillaume III signa l’ordre de cabinet instituant l’Université de Berlin[1]. Les historiens de l’Allemagne n’ont pas laissé de faire ressortir le contraste entre la politique du roi Jérôme en Westphalie, supprimant les universités, confisquant leurs dotations pour se bâtir des palais, et la politique prussienne groupant à Berlin ses forces intellectuelles, ne reculant pas, au plus fort de ses malheurs, devant de semblables dépenses,

  1. Voir, sur cette fondation, l’étude de M. Lavisse dans la Revue du 15 mai 1876.