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mière, on aura une raie noire ; selon l’expression, devenue classique, d’Arago, en ajoutant de la lumière à de la lumière on aura produit de l’ombre.

Telle est l’expérience que Thomas Young conçut et réalisa.


V

L’idée de déterminer l’effet simultané de plusieurs rayons lumineux qui éclairent une même région de l’espace, qui interfèrent, en composant entre elles les vibrations propres à chacun de ces rayons suivant la loi générale de composition des mouvemens, donna à la théorie ondulatoire de la lumière une vigoureuse impulsion ; grâce à elle, Young ne tarda pas à expliquer à son tour, de la manière la plus naturelle, les phénomènes dont Newton avait déjà rendu compte par l’hypothèse des accès, les couleurs des lames minces, par exemple ; grâce à elle, le génie de Fresnel découvrit les lois de phénomènes nombreux et compliqués, demeurés jusqu’à lui des objets incompris de curiosité.

Si la lumière est un mouvement, avait dit Newton, si l’obscurité est de l’éther au repos, comment se fait-il que la lumière, après avoir passé par une ouverture percée dans un écran, ne se répande pas dans le milieu immobile qui remplit l’ombre de l’écran ? Elle y pénètre, en donnant naissance aux curieux phénomène de diffraction ; ces phénomènes, Grimaldi les avait observés ; Newton avait lu les observations de Grimaldi et les avait répétées ; ni Grimaldi, ni Newton, n’avaient saisi le sens de ce qu’ils avaient vu ; Fresnel montra que les effets de diffraction étaient la réfutation expérimentale de cette loi, acceptée depuis l’antiquité sans conteste, sans condition, sans restriction : la lumière se propage en ligne droite ; en mariant les idées d’Young à celle d’Huygens, il parvint à démêler jusque dans le moindre détail les lois compliquées de ces curieux phénomènes.

Sans doute les raisonnemens qui avaient conduit Fresnel aux formules de la diffraction étaient étranges ; aux prises avec un problème dont les difficultés surpassaient de beaucoup ses connaissances mathématiques, — problème dont la solution rigoureuse, préparée par Poisson, par M. Stokes et par M. Helmholtz, est un des beaux titres de gloire de G. Kirchhoff, — c’est en entassant les approximations erronées, les sommations interdites, les intégrations aventureuses qu’il a justifié les formules devinées par son génie ; mais, devant l’importance du résultat obtenu, qui songerait à reprocher à Fresnel l’incorrection de ses calculs ? S’inquiète-t-on de savoir si, pour toucher un nouveau monde, les