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principaux de l’augmentation prodigieuse de la richesse publique en France depuis un quart de siècle.

Les représentans de la nation et les pouvoirs publics devaient avoir à cœur de ne pas oublier, dans leur sollicitude pour des intérêts spéciaux, assurément très dignes de sympathie, ce qu’exigeait cependant le respect de ces grands intérêts commerciaux. Sans doute on ne pouvait rester sourd aux appels désespérés des usiniers et des agriculteurs. Les consommateurs eux-mêmes, dont la cause a été un peu perdue de vue dans ces derniers temps, auraient été les premières victimes d’une fidélité ridicule aux pures doctrines libre-échangistes, qui eût abouti à la ruine de nos manufactures et de nos fermes.

Ce n’était pas une raison pour n’ouvrir plus l’oreille qu’aux doléances des filatures de laine, ou des vins du Midi, ou du bétail normand, et pour briser, par un appareil compliqué d’entraves, les relations si fructueuses établies depuis une génération entre la production française et les peuples étrangers.

Les avertissemens n’ont pas manqué. La France a eu d’abord l’exemple de l’Italie. L’exportation italienne s’élevait à 1 milliard en 1887 sous le régime douanier conventionnel. Elle est tombée à 892 millions en 1888 et à 875 millions en 1890 sous l’influence du tarif autonome, inauguré chez nos voisins en 1888, et qui avait relevé tous les droits d’entrée.

M. Teisserenc de Bort, dans un rapport sur notre commerce extérieur pour 1890, présentait cette déconvenue du protectionnisme italien comme une leçon préventive pour la France. Les projets de tarifs qui étaient alors en faveur dans notre Parlement causaient de vives appréhensions à plusieurs des membres de la commission des valeurs de douane que présidait M. Teisserenc de Bort. Après avoir reconnu que les droits votés sur les blés par les Chambres françaises étaient en quelque sorte l’aveu d’un déni de justice commis jusqu’alors à l’égard de l’agriculture, M. Teisserenc de Bort concluait ainsi : « De ce que l’on donne à l’agriculture une réparation tardive, s’ensuit-il qu’il faille bouleverser notre régime économique et ajouter à la protection dont nos industries jouissent depuis trente ans, protection qui a suffi au maintien et au développement de leur prospérité ? Il est permis d’en douter. Toute faute dans cette voie peut avoir les conséquences les plus désastreuses sur la fortune de la France. Il est facile de ne pas la commettre. Il serait à peu près impossible, si elle avait été commise, de la réparer.

« Craignons de donner aux industriels français la tentation de rehausser leurs prix, sans une nécessité absolue et pour la seule