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Avant de lui passer au doigt l’anneau royal,
La reine, qui douta trop longtemps de son maître,
Tombe dès qu’en lui seul elle a pu reconnaître
Le robuste ouvrier du grand lit nuptial.


II


Je me souviens d’un vieux matelot saintongeais
Né près de l’Océan, à Talmont-sur-Gironde.
Son rapide voilier courait autour du monde,
A l’époque où moi-même autrefois voyageais.

En pleine mer du Sud, de longs groupes d’îlettes
Emergent au hasard sur des bancs de corail
Qui fourmillent d’écueils, où bricks et goélettes
Sur des rocs à fleur d’eau brisent leur gouvernail.

Ce fut là qu’en débris disparut son navire.
Dans la chaude contrée où les paradisiers
S’enivrent en mangeant la noix des muscadiers,
Où les cygnes sont noirs, où règne l’oiseau-lyre.

Un seul des naufragés fut sauf... le matelot.
Intrépide nageur qui put gagner la terre,
Et des jours et des mois resta sur un îlot.
De ses grands bois déserts ermite involontaire.

Il devint prisonnier de pirates malais.
Puis au banc des rameurs sur des jonques chinoises.
Quand il put échapper aux peuplades sournoises.
En rade appareillait un trois-mâts bordelais.

Mais l’homme avait perdu treize ou quatorze années
De son bel âge mûr et dans un rude exil
Sous de lointains soleils tristement égrenées;
Au cher pays natal il revint en droit fil.


III


Il rentra dans le bourg après la nuit tombée.
Déserte était la rue... on ne l’attendait pas.
Dans une maison basse, une claire flambée
Rougissait la fenêtre... Il marchait à grands pas.