Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet homme se révéla dans Catherine dès le premier coup de la fortune adverse. Le 14 août 1484, Sixte IV mourait subitement. A l’instant, la renverse habituelle en pareille occurrence se produisait dans Rome; les rancunes, les haines longtemps contenues se déchaînaient contre les favoris et les tout-puissans de la veille. La populace forçait le palais Riario et mettait à sac les richesses, les meubles précieux; le Sacré-Collège intimait au capitaine-général, campé hors de la ville, l’ordre de rentrer avec ses troupes.

Tandis que le pusillanime Girolamo obéissait, Catherine fit ce qu’il aurait dû faire. Grosse de huit mois, elle monte à cheval, court au château Saint-Ange, se fait ouvrir la porte, prend le commandement, baisse les herses, et déclare qu’elle ne rendra pas la citadelle tant qu’on n’aura pas confirmé les Riario dans tous leurs fiefs et charges, tant qu’on n’aura pas soldé les sommes dont ils se disent créanciers. Intimidés par cette endiablée, les cardinaux refusent de s’assembler en conclave avant que leur sécurité ne soit assurée par la reddition du château. On négocie, on parlemente; Catherine trouve moyen de renforcer secrètement sa garnison. Convaincu qu’elle ne cédera pas, le Sacré-Collège lui délègue huit prélats qui prennent en bonne et due forme, au nom du futur pape, tous les engagemens qu’elle demande. Alors seulement elle permet au conclave de s’ouvrir, et le cardinal Cibo est élu sous le nom d’Innocent VIII. Munis de toutes les sûretés nécessaires, les Riario abandonnent Rome, qui leur sera désormais hostile, et vont s’établir dans leur seigneurie d’Imola.


II

C’est là, sur ce petit théâtre, que Catherine déploiera pendant quinze ans toutes les ressources d’une grande politique pour louvoyer entre les ligues italiennes, toute l’énergie d’un héros pour dompter les séditions et résister aux sièges en règle. Elle y demeura bientôt souveraine unique. Les gens de Forli étaient travaillés par les partisans de leur ancien seigneur Ordelaffi, par les émissaires d’Innocent VIII et de Laurent de Médicis ; le Florentin ne pardonnait pas à Riario la part que celui-ci avait prise dans la conjuration des Pazzi, il lui redevait depuis dix ans un coup de poignard, et l’on sait que ces dettes ne se prescrivaient pas en Italie. Le mécontentement provoqué dans le peuple de Forli par une aggravation de taxes fournit un prétexte à la conspiration; elle couvait chez les Orsi, l’une des principales familles de la ville. Le drame se déroula suivant les règles d’un scénario qui devient monotone, à force de se répéter dans les histoires de cette époque.