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Roderic Borgia avait succédé à Innocent VIII. Avec lui, ce n’étaient plus des neveux, c’étaient des enfans qu’il fallait pourvoir; et entre tous le grand rapace. César, duc de Valentinois. Il avait jeté son dévolu sur les Romagnes; en 1499, une bulle transfère sur sa tête la souveraineté d’Imola et de Forli. Catherine, qui avait décliné l’alliance de Lucrèce pour son fils Ottaviano, est irrémédiablement perdue; Florence refuse de la secourir, Milan est paralysé, et César marche contre elle avec l’épée de la France. Ses sujets atterrés l’abandonnent lâchement; à l’approche du fléau, ils ouvrent les portes des villes, ils vont cacher dans les montagnes leurs richesses, leurs filles, les plus jeunes femmes, livrant les autres à la discrétion de la soldatesque française. En décembre 1499, le duc de Valentinois entre sans coup férir dans Imola et dans Forli, accompagné d’Yves d’Allègre, de Louis de Bourbon et du bailli de Dijon.

Restait à prendre Catherine : ce ne fut pas chose facile; le siège de trois semaines que soutint cette femme égale les plus beaux épisodes de l’histoire militaire. Depuis longtemps elle renforçait pour la lutte suprême ce donjon de Forli qui l’avait si fidèlement gardée contre tant de séditions. César essaya d’abord de la désarmer par caresse et par ruse : il venait au pied du rempart, à cette même place où la mère avait vu ses enfans sous le couteau des Orsi rebelles, il saluait courtoisement la comtesse ; quelques historiens prêtent aux deux adversaires de longs colloques à l’antique, remplis de concetti héroïques, et que je soupçonne d’avoir été forgés dans le cabinet. J’en crois plus volontiers celui qui écrit : « Elle ne parla que par la bouche de ses canons. » Borgia, qui n’aimait pas cette voix, disparut, mit au prix de 10 000 ducats la tête de Catherine, et envoya les Français contre la muraille. La comtesse les reçut à la tête de ses gens d’armes. Sur pied jour et nuit, elle ne quittait plus la cuirasse dont elle avait la longue habitude : peut-être cette armure de femme, sans attribution d’origine, qu’on voit au musée de Bologne; M. Pasolini croit d’après quelques indices qu’elle servit à Catherine. L’assiégée négociait avec le dehors, lançant à toute l’Italie des appels désespérés ; nul n’était en mesure de la secourir. Elle continuait avec une admirable présence d’esprit l’administration des plus petites affaires ; on a d’elle une lettre écrite durant ces jours d’angoisse, pour réprimander les chanoines d’Imola au sujet de la nomination d’un sacristain. C’est aussi élégant que le décret de Moscou.

Cependant le fossé se comblait, sous les fascines apportées par les anciens serviteurs des Riario; la brèche s’élargissait, la place n’était plus tenable. Catherine restait sourde aux sommations