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en ait été nettement spécifiée, dans quelle mesure ce coefficient augmenterait la taxe principale. On a généralement approuvé les modérations de taxes au profit des petits loyers, et surtout des familles nombreuses. Mais ce qui a jeté du trouble dans les esprits, c’est la demi-satisfaction avec laquelle les socialistes et les radicaux ont accueilli ces réformes. Certes, ils les ont déclarées bien insuffisantes, bien insignifiantes même ; mais, tout en les traitant avec le dédain qu’autorisent chez eux des conceptions démesurément supérieures, ils ont fait un effort habile pour y voir et surtout pour y faire voir une consécration timide, inavouée, réelle pourtant, de leurs propres principes. A les entendre, les atténuations de taxe au profit de certaines situations déterminées sont un impôt dégressif dans un sens et, par conséquent, progressif dans l’autre. La taxe sur les domestiques est un commencement d’impôt de superposition sur le revenu général, puisqu’elle se superpose à l’impôt sur l’habitation. Avons-nous besoin de dire que socialistes et radicaux se complaisent dans une équivoque? S’il y a dans le projet de budget deux points fermement établis, soit dans les déclarations de M. le ministre des finances, soit dans les réalisations pratiques qu’il en présente, c’est que l’impôt doit être proportionnel et non pas progressif, et que, dans la corrélation à établir entre les prélèvemens du Trésor et les revenus des contribuables, ces revenus doivent être présumés d’après un certain nombre de signes apparens, manifestes, tangibles, et non pas d’après des déclarations toujours incertaines, dont le contrôle introduirait dans nos mœurs fiscales une véritable inquisition. Que l’on multiplie ces signes objectifs du revenu, afin de corriger par les uns les chances d’erreur qui pourraient se trouver dans les autres, et de serrer de plus près la solution du problème au moyen d’un plus grand nombre d’approximations, rien de mieux ! Que l’on renonce comme démodés à quelques-uns de ces signes pour recourir à d’autres jugés plus exacts, rien de mieux encore ! On ne veut plus des portes et fenêtres ; nous n’y tenons pas davantage. Le loyer est un signe qui vaut bien celui-là. Le nombre des domestiques en est un autre. Le projet de M. le ministre des finances ne soulève, sur aucun de ces points, d’objections de principe, et les socialistes n’y trouveront d’autres satisfactions que celles qu’ils veulent absolument avoir l’air d’éprouver. Napoléon disait qu’une bataille perdue est une bataille qu’on croit perdue : ils pensent de leur côté qu’une bataille gagnée est une bataille qu’on croit gagnée. Soit; mais il faut encore y faire croire.


Il est d’ailleurs bien rare que les premières impressions produites par un projet de budget ne se modifient pas avec le temps, et il faudra beaucoup de temps pour aboutir au vote, nous ne disons pas du budget tout entier, mais seulement des quatre contributions directes. Si on y