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le cimetière, avec l’église pour réduit, soutenu par des troupes qui arrivent, et par une artillerie qui réduit au silence nos pièces légères. L’avant-garde est impuissante à déloger les Impériaux du village.

Montecuccoli marchait depuis la veille. N’ayant pu se saisir du carrefour de Gamshurst, il avait pris plus au nord, et, s’élevant dans la montagne, il venait d’atteindre Riegel. En même temps il se saisissait du poste de Sasbach, espérant par ce double mouvement faciliter sa réunion avec Caprara, dont la position devenait fort critique, et qui, parti d’Offembourg, cherchait à rejoindre le gros de l’armée par des chemins presque impraticables. De la plaine, on pouvait apercevoir d’un côté les troupes de Montecuccoli qui descendaient en hâte de Riegel vers Sasbach, de l’autre les soldats de Caprara traînant leurs chevaux par la tête dans d’étroits sentiers.

S’il peut se rendre maître de ce village dont le nom est devenu historique, Turenne augmentera l’écart qui sépare les deux tronçons de l’armée impériale ; l’un ou l’autre, tous les deux peut-être, seront à sa merci, menacés d’une sanglante défaite, repoussés vers le Rhin ou contraints de traverser en désordre les défilés de la Forêt-Noire, rejetés en Souabe et peut-être jusqu’en Franconie. Par quel procédé, par quelle manœuvre Turenne comptait-il atteindre son but? La mort a emporté son secret; mais il montrait une assurance qu’il n’avait pas habitude de laisser voir; plusieurs fois il aurait dit : « Je les tiens, je les tiens[1] ! »

Tout d’abord il met fin à ce combat traînant, se borne à garder par de petits postes les avenues du village, et à contenir par quelques tirailleurs ceux que l’ennemi poussait dans les jardins. Puis, avec ses officiers et quelques soldats de l’avant-garde, il gravit un mamelon qui forme cap entre les deux ruisseaux d’Achern et de Sasbach. La position lui parut favorable pour appuyer sa droite et surtout pour prendre à revers l’église et le cimetière, dont il avait hâte de s’emparer. Ordre fut envoyé à M. de Lorges de presser son mouvement, de traverser Achern pour former ses troupes en bataille, et d’envoyer aussitôt l’artillerie au maréchal.

Celui-ci s’arrêta un moment pour contempler une vue admirable; à ses pieds, le petit clocher de Sasbach, perdu dans les vergers; au loin, la chaîne bleue des Vosges, et, dans la plaine, la flèche rouge de Strasbourg sortant de la verdure des bois. Hamilton

  1. Cette parole un peu outrecuidante et théâtrale ne semble pas dans la manière ordinaire de Turenne ; cependant on la retrouve dans presque tous les récits contemporains.