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lire sa correspondance, recevoir de nombreux rapports, dicter ses dépêches, expédier ses ordres ; si bien qu’à peine arrivé à Châtenois toutes les mesures étaient prises, les détails réglés. Lui-même, sans prendre aucun repos, marchait le lendemain avec l’armée pour déjouer à tout risque les desseins de l’ennemi. L’orage avait grossi, et les moyens de le conjurer étaient bien imparfaits.

Maître, non pas tout à fait de Strasbourg, — car la ville n’avait pas voulu recevoir de garnison impériale, — mais du pont sur le Rhin, dont Strasbourg tenait la clef, disposant de toutes les ressources de cette ville si riche et si puissante, ayant tout l’appui du magistrat, Montecuccoli n’avait pas perdu de temps à établir solidement son armée sur la rive gauche du Rhin et à la mettre en état d’exécuter d’importantes entreprises. Son dessein était bien tracé : déloger les Français de la Basse-Alsace, leur couper l’accès des montagnes, barrer le chemin aux renforts ou ravitaillemens, repousser ensuite cette armée isolée et achever la conquête de l’Alsace. Il préparait le développement méthodique de son plan, lorsque « le malheur de M. de Créqui » lui ouvrit des horizons prochains. Il commença aussitôt l’attaque de Haguenau.

Cette place était importante dans l’état des affaires parce qu’elle assurait les communications entre les Vosges et le Rhin, entre la France et Philisbourg. Elle avait été l’objet des soins particuliers de Turenne. Condé en avait mauvaise opinion: « Elle est de la force de Nanterre, » écrivait-il à Louvois en poussant peut-être la couleur de l’image. C’est le ton de sa correspondance officielle. De tout temps, il a été sobre d’assertions confiantes dans ses dépêches : maintenant il incline peut-être à exagérer cette disposition. Au risque de déplaire et de passer pour morose, il ne veut laisser au ministre aucune illusion ; il peint la situation comme il la voit, sombre, menaçante. Mais c’est un tout autre souffle qui anime ses lettres quand il écrit à ceux dont il doit soutenir le courage. Il n’avait pas caché à Louvois la faiblesse de son armée, son dénûment, la force des ennemis, la difficulté de secourir Haguenau. Au gouverneur Mathieu, il écrit : « La conservation de cette place est si importante au Roy que vous devez y attendre les dernières extrémités. Je suis asseuré que vous ferez une belle défense, et de mon costé, je vous l’asseure, il n’y a rien que je ne fasse pour vous secourir promptement[1]. » Et la conduite est d’accord avec ce langage : il court au secours de Haguenau.

Arrivé à Châtenois le 18 août, il couchait le 19 à Benfeldt, ramené par la fortune de la guerre dans la petite place où, trente-deux

  1. De Nancy, 16 août. C. P. (Collections particulières).