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dans l’Afrique orientale forme une seconde source de renseignemens[1].

La lecture de ces ouvrages permet de distinguer, dans l’Équatoria et sur ses confins, trois groupes d’hommes : anciennes troupes d’Emin, nègres indigènes, mahdistes. Quelle est leur force respective? Sont-ils capables d’inquiéter efficacement des Européens établis dans le pays?

Après le départ d’Emin, ses troupes n’ont pas vécu réunies. Deux détachemens se sont formés. L’un avait dressé un camp à Kavalli, à l’extrémité méridionale du lac Albert. Son chef nominal était le colonel Selim-bey. Ce Soudanais, noir de jais, obèse, dont la figure s’épanouissait en une large face ronde et réjouie, ne possédait aucune qualité de commandement. C’était un sensuel, dont les occupations favorites consistaient à regarder danser ses femmes, ou bien à rester en tête à tête avec sa bouteille de pombé. Il manquait de caractère et avait perdu toute autorité. Il avait acheté l’obéissance de ses soldats, qu’il redoutait fort, en couvrant leurs manches de galons. Sur 140 hommes capables de porter les armes, son détachement comprenait 1 lieutenant-colonel, 4 commandans, 3 capitaines en premier, 4 capitaines en second, 14 lieutenans, 7 sous-lieutenans, soit 43 officiers : cadres presque complets d’un régiment, auquel la troupe seule faisait défaut. En dépit de ces titres sonores, ces prétendus officiers vivaient d’ailleurs dans une profonde misère. Seul, Selim-bey, coiffé de son fez, habillé d’une belle veste gris ardoise et d’un large pantalon blanc, était encore presque correct dans sa mise. Mais les vêtemens de ses hommes tombaient en lambeaux. Par-dessus leurs loques, ils avaient jeté des peaux de bêtes et ressemblaient plus à des sauvages qu’à des soldats hier encore au service de Sa Hautesse le Khédive d’Egypte.

Le second détachement était resté cantonné dans les postes des bords du Nil. Il était commandé par un certain Fadl-el-Moula Aga. Ce personnage entretenait depuis plusieurs années des relations secrètes avec les mahdistes. Il avait établi dans les postes sous ses ordres une discipline analogue à celle qui régnait dans leur camp. Toute boisson alcoolique était proscrite et l’usage du tabac interdit. Quiconque ne se montrait pas assidu aux prières recevait, selon l’antique coutume arabe, un certain nombre de coups de corde à nœuds. La précieuse collection d’oiseaux qu’Emin avait rassemblée avec tant de sollicitude, puis étiquetée

  1. Captain F. D. Lugard, The rise of our east african empire. 2 vol. in-8o, Londres, 1893.