Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1891, il s’enfuit et arriva le 8 décembre aux avant-postes égyptiens de Mourat, après une course vertigineuse à dos de chameau. Naturellement, on ne communiquait pas les secrets d’Etat à Ohrwalder, misérable chrétien, toujours menacé d’être pendu à l’un de ces gibets dont la silhouette sinistre se dessinait au-dessus du marché d’Omdurman. Sa vie était précaire. La vente des savons qu’il fabriqua d’abord avec Lupton-bey, celle des rubans multicolores qu’ensuite il tissa pour les élégantes d’Omdurman, lui rapportaient si peu que pendant des mois il se nourrit uniquement de bouillie de durra et de légumes cuits à l’eau. Un jour, pendant la terrible famine de 1889, qui enleva par milliers les habitans du Soudan, une femme avec trois enfans, deux dans ses bras, le troisième pendu à ses haillons, vint mendier devant la maison d’Ohrwalder. Il ne put lui donner autre chose qu’une poignée de durra. Cette malheureuse revint le lendemain avec deux enfans, le surlendemain avec un, le troisième jour elle était seule! Combien Ohrwalder devait être misérable pour ne pas accorder de plus large aumône qu’une simple poignée de durra à de pareils infortunés! On comprend aisément que le calife Abdallah, successeur du Mahdi, n’admît pas un aussi pauvre hère à ses conseils. Mais Ohrwalder avait l’heureuse habitude de fréquenter régulièrement le marché d’Omdurman. Comme tous les marchés du monde, c’est un lieu de transaction pour vendeurs et acheteurs; mais c’est surtout un lieu de flânerie pour les oisifs qui colportent les nouvelles du jour. D’après ce qu’entendit Ohrwalder en écoutant les beaux parleurs qui bavardaient autour des échoppes d’Omdurman, voici le résultat des entreprises des mahdistes dans la province équatoriale.

Le climat ne paraît pas leur avoir réussi. Le passage d’un pays, si sec que les cadavres ne s’y décomposent pas, mais se transforment en momies, dans une région soumise au régime des pluies tropicales, éprouva beaucoup d’entre eux.

En outre, les expéditions envoyées par le calife Abdallah ont subi plusieurs échecs. En 1888, une flotte composée de trois vapeurs et de plusieurs bateaux à voile part d’Omdurman. Les mahdistes remontent le Nil, attaquent Lado et Redjaf et s’en emparent. Ils poursuivent leur marche vers le sud, mais sont battus par les soldats d’Emin. En 1889 ou 1890, forts des promesses de Fadl-el-Moula Aga, ils s’avancent vers les stations méridionales pour en prendre possession. Mais les soldats, comme on l’a vu, refusèrent de se rendre et leur infligèrent une nouvelle défaite. En 1891, à deux jours au nord de Redjaf, ils chargeaient de l’ivoire sur deux bâtimens. Les indigènes les surprennent, tuent