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Grande fut la joie aux nouvelles qu’il apportait. Les généraux ordonnèrent trois décharges pour célébrer leur prétendue victoire, et, marchant aussitôt, allèrent chercher sous les remparts de Mons[1] des ressources qui leur manquaient, des renforts, des secours et un gîte plus sûr que des villages en rase campagne.


IX. — LES TROPHÉES ET LES PERTES.

Guillaume d’Orange ne s’avouera jamais vaincu ; c’est un des traits de ce mâle et ferme caractère ; sa prétention est justifiée par le glorieux entêtement qui ne saurait accepter la défaite ni abandonner à l’adversaire un succès complet, incontesté. Tel on le retrouvera dans ses batailles plus ou moins complètement perdues contre Luxembourg, à Saint-Denis, à Steinkerque, à Nerwinde, à Fleurus. Aujourd’hui, amené par la fortune en présence de Condé, il ne s’est pas troublé, il n’a pas ployé ; toutes les relations hollandaises, allemandes, espagnoles, les gazettes, les récits imprimés à La Haye, à Bruxelles, à Francfort, célèbrent sa victoire (c’est à peine si M. de Souches est nommé), et la défaite des Français, qui ont abandonné le champ de bataille : dejando nos el campo de batalla, concluait emphatiquement une relation espagnole jusque-là sincère et fort peu triomphale. Rien n’était moins conforme à la vérité.

Au bruit de la mousqueterie, M. le Prince s’était mis debout. Autour de lui il y a de l’étonnement, et, parmi les troupes, une certaine confusion, causée surtout par l’épouvante des chevaux. Le calme rétabli, M. le Prince a promptement jugé ce qui se passe. Il ne faut plus songer à reprendre le combat avec un ennemi qui abandonne la partie. Lui-même n’a ni vivres, ni canon; les renforts ne sont pas arrivés. Inutile de rectifier une position incorrecte. Ordre est donné de rentrer au camp du Piéton. A l’aurore, M. le Prince fut rejoint par sa chaise, qui le ramena au quartier général. Depuis vingt-six heures il n’avait quitté la selle que pour prendre quelques instans de repos dans le buisson de La Basse-Hestre. Monté à cheval au petit jour, sans bottes ni éperons, en bas de soie et souliers, quand chaque mouvement lui rappelait ses douleurs, il avait franchi de grands espaces au galop, chargé de tous côtés, roulé trois fois sous son cheval tué.

Nous aimons à citer les jugemens concis que la loyauté de Turenne semble lui arracher. Lorsqu’il sut tout ce que cet infirme avait accompli dans cette journée du 11 août, il écrivit : « J’admire comme M. le Prince a pu résister à un si grand travail[2]. »

  1. 4 lieues et demie plus loin.
  2. Turenne à Louvois; camp près Landau, 20 août 1674 (apud Grimoard).