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en a su quelque chose sous l’Empire. Pour sortir de cet état précaire, pour arriver vraiment à l’existence, il faut que leur association franchisse un dernier degré et obtienne la reconnaissance d’utilité publique.

L’utilité publique, c’est un bien gros mot, et l’on comprend que beaucoup de petites sociétés ne veuillent pas se décerner à elles-mêmes un brevet de cette importance. On comprend surtout qu’elles reculent devant les innombrables formalités qu’implique une demande en reconnaissance d’utilité publique introduite devant le Conseil d’Etat. Pour obtenir la reconnaissance d’utilité publique, il faut non seulement satisfaire à toutes les formalités que j’indiquais tout à l’heure comme nécessaires à la simple autorisation, mais encore justifier de ressources financières suffisantes et d’une existence assurée. Il faut surtout aller, venir, visiter, solliciter; être soi-même un personnage ou avoir de puissans protecteurs; se livrer à une foule de démarches qui supposent, à la fois le loisir et le séjour à Paris, en un mot il faut avoir le bras long, et comme ce n’est pas le fait de tout le monde, la reconnaissance d’utilité publique est une faveur, à tout prendre, rarement accordée. On pourrait dire que les sociétés reconnues constituent l’aristocratie des associations charitables. Les autres, c’est la plèbe ; elles vivent d’une vie précaire et se tirent d’affaire comme elles peuvent. Vingt et un braves gens qui se sont entendus pour faire la charité ne doivent-ils point s’estimer heureux de n’être pas poursuivis de ce chef?

Notre société reconnue d’utilité publique est-elle devenue au moins grande personne? Va-t-elle pouvoir agir dans la plénitude de ses droits et se mouvoir librement dans la limite de ses statuts? Pas davantage. Immédiatement elle tombe en tutelle, et son tuteur c’est l’Etat, c’est-à-dire un tuteur qui ne plaisante pas. Quelle idée le tuteur se fait de ses droits, je ne saurais eu donner une plus juste définition qu’en empruntant quelques lignes au manuel de M. Béquet dont je me suis déjà servi tout à l’heure. « Les associations de bienfaisance, une fois revêtues de la personnalité civile par la déclaration d’utilité publique, deviennent ce qu’on appelle des gens de mainmorte... La loi a sur tout ce qui les concerne et jusque sur leur existence même une autorité illimitée. Après les avoir faites, la loi peut les défaire ou les modifier à son gré; elle peut les supprimer; leur ayant communiqué la jouissance de leurs droits, elle peut examiner s’il est bon qu’elles conservent cette jouissance. Il est loisible de ne pas fixer la durée de leur existence, parce que, si celle-ci devient inutile au bien général en vue duquel elle leur a été donnée, on a la faculté de