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garde, à se jeter sur la France, pour la sucer comme un vampire. Il ne manque pas d’honnêtes gens qui sont fort partisans de la charité et qui n’ont même pas d’objections à la liberté d’association ; mais, disent-ils, il ne faut pas laisser se rétablir la mainmorte. Si on leur demandait ce qu’ils entendent par là, on découvrirait que, dans leur pensée, la France était autrefois couverte de vastes domaines appartenant à des communautés religieuses que celles-ci laissaient complètement stériles. Sans discuter cette assertion qui, au point de vue historique, souffrirait contradiction, est-il sérieux de prétendre que la latitude de posséder, accordée aux sociétés reconnues d’utilité publique, conduirait aux mêmes résultats? En fait, il ne manque pas d’établissemens charitables qui ont conservé des bois et des fermes provenant d’anciennes donations. Voit-on qu’ils laissent leurs arbres pourrir sur pied et leurs terres en jachère ? Lors même que ces biens appartiennent à des congrégations religieuses, ils sont mis en valeur de la façon la plus intelligente, et les enfans de lumière, sous ce rapport comme sous d’autres encore, sont devenus tout aussi sages que les enfans du siècle. Il faut cependant que le préjugé soit bien enraciné pour que les esprits les plus fermes sentent la nécessité de compter avec lui. Dans sa récente brochure sur la liberté d’association, dont la conception large et hardie dépasse de si loin tous les autres projets sur la matière, M. le Comte de Paris reconnaît que l’intérêt même des associations commande de soumettre leur droit de posséder des immeubles à certaines restrictions. On peut penser si l’aimable tuteur que les sociétés déclarées d’utilité publique possèdent en la personne du Conseil d’État est de cet a, vis. Un immeuble est-il laissé à une société? l’autorisation d’accepter le legs ne lui est accordée qu’à la condition de vendre l’immeuble, et la pensée de cette aliénation décourage la bonne volonté de beaucoup de testateurs. Enfin à toutes ces entraves se joignent encore des charges fiscales qui, sous prétexte de rétablir l’égalité devant l’impôt, ont en réalité pour résultat et même pour but de surcharger, aux dépens de l’équité, la fortune des associations charitables. Les valeurs ou propriétés qu’elles possèdent ne sont pas seulement, et ce n’est que justice, soumises aux charges qui pèsent sur la fortune des autres citoyens. Elles n’ont pas seulement à acquitter la taxe de 4 pour 100 sur le revenu de leurs valeurs mobilières, l’impôt foncier, l’impôt des portes et fenêtres, l’impôt mobilier sur la maison possédée ou occupée par elle, ainsi qu’une taxe spéciale dite de mainmorte, destinée à tenir lieu à l’État des droits de mutation qu’il ne perçoit pas. Elles ont en outre à payer tout un ensemble de taxes arbitraires créées depuis quelques années