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religieuse. Sans méconnaître que la charité neutre n’ait fait dans ces dernières années des efforts dont il y a lieu de lui tenir compte, il est non moins incontestable que l’idée religieuse demeure la source abondante d’où coule à grands flots dans notre pays le fleuve de la charité. Or, depuis quinze ans, l’Etat a fait tout ce qu’il a pu pour tarir cette source et pour resserrer ce fleuve entre d’étroites digues. Je ne veux pas dresser ici la nomenclature de toutes les mesures vexatoires qui ont été prises contre les congrégations religieuses, — c’est-à-dire contre l’instrument le plus ordinaire de la charité chrétienne, — qu’on a vues tantôt chassées de leurs antiques demeures, tantôt systématiquement dépouillées du glorieux monopole de fait qu’elles exerçaient, tantôt ruinées par des exigences arbitraires. Je veux rester sur le terrain administratif. Nous avons vu tout à l’heure que l’existence de toute association charitable était subordonnée au bon plaisir gouvernemental. Ce bon plaisir n’octroie plus aujourd’hui le privilège de l’existence aux sociétés animées de l’esprit confessionnel, c’est le terme à la mode. Certains préfets, à tendances libérales, peuvent encore accorder aux sociétés animées de cet esprit l’autorisation nécessaire pour que les braves gens qui les composent puissent échapper aux poursuites correctionnelles. Mais à cette faveur doivent se limiter toutes leurs ambitions. Quant à acquérir le droit à la vie, ils n’y doivent point songer. Le Conseil d’Etat est là pour s’y opposer. Aucune société à tendance confessionnelle ne saurait obtenir la reconnaissance d’utilité publique. C’est sur ce point que porte l’examen le plus rigoureux. Il faut qu’elles justifient de leur esprit laïque, et, si elles empruntent leurs instrumens aux ordres religieux, il faut qu’elles démontrent que c’est parce qu’elles n’en ont point pu trouver d’autres. Quant à celles qui existent déjà, il n’est sorte d’entraves et de difficultés qui ne leur soient suscitées, tantôt à l’occasion des autorisations qu’elles demandent et qui leur sont arbitrairement refusées, tantôt à propos des legs qui leur sont faits et dont, sous de fréquens prétextes, elles sont dépouillées. Je ne veux pas entrer dans un détail de faits qui sentirait la polémique, ni donner des preuves. Mais tous ceux qui sont au courant des choses savent que la vie des congrégations religieuses et celle des associations à tendances ouvertement confessionnelles, que la reconnaissance d’utilité publique a mises dans la main de l’État, n’est qu’une série de tracasseries et un long martyrologe.

Ce n’est donc rien exagérer que de dire qu’aux yeux de l’Etat la charité privée est aujourd’hui presque une ennemie. Que faut-il réclamer pour elle? La liberté; non pas la liberté comme un