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risque de paraître monotone et de nous lasser, avec une persévérance que nous admirons, à moins que ce ne soit avec une insistance qui nous étonne. Ce qu’est l’aristocratie, il a commencé de nous le dire au jour le jour, et il arrive qu’il nous le dise plus d’une fois en un jour, dans ces innombrables saynètes qu’il sème, çà et là, parmi les feuilles du boulevard. Ses jeunes noceurs, idiots et vaniteux, la cervelle vide et l’estomac pesant, portent presque tous des noms qui sonnent comme les mieux sonnans de l’armorial de France. Puis M. Lavedan a dressé comme dans un réquisitoire la liste complète des accusations qu’il dirige contre une caste inutile tombée de l’oisiveté dans tous les vices, c’est à savoir l’ostentation vaine, le besoin de luxe, l’amour vénal et le jeu. Aujourd’hui M. Lavedan se fait, au lieu d’accusateur, conseiller. Il ne se contente pas d’avoir dénoncé le mal, ce qui est faire œuvre presque inhumaine quand on pense que le mal est sans remède. C’est ce remède au contraire qu’il a trouvé et qu’il nous apporte. Il sait un moyen pour l’aristocratie de se régénérer. Le moyen après tout est assez simple, et le conseil peut se résumer en quelques mots : Que la noblesse cesse de se tenir à l’écart du siècle et en dehors du mouvement moderne ! Qu’elle cesse de considérer comme indignes d’elle nos professions et nos métiers ! Qu’elle se mette au travail !

Pour traduire cette idée, M. Lavedan a imaginé d’emprunter ses personnages à cette famille des d’Aurec qu’il avait lui-même amenée à la vie de la littérature. Le prince Dominique d’Aurec a eu un fils. Ce fils a renoncé au long héritage d’illustration qui est d’ailleurs l’unique héritage que lui eût laissé son père. Il a changé de nom, pour en prendre un des plus roturiers qui soient. Il s’appelle maintenant M. Jacques Roche. Vous vous souvenez du Philosophe de Sedaine et qu’il avait déjà donné l’exemple de cet embourgeoisement. Le chevalier jet baron de Savières, de Clavières et autres lieux, il était devenu M. Vanderk. Il était entré dans le commerce, et son fils lui demandant compte de ce qu’il considère comme une déchéance, il célébrait en termes magnifiques la condition du négociant : « Ce n’est pas un peuple, ce n’est pas une seule nation qu’il sert ; il les sert toutes et en est servi ; c’est l’homme de l’univers… Nous sommes sur la superficie de la terre autant de fils de soie qui lient ensemble les nations et les ramènent à la paix par la nécessité du commerce. Voilà, mon fils, ce qu’est un honnête négociant. » M. Roche a choisi l’industrie. Il en énumère les mérites avec non moins d’enthousiasme et à peine plus de simplicité. Il fabrique du pétrole. lien fabrique des quantités considérables. Du département de Meurthe-et-Moselle où sont installées ses usines, il en inonde le marché. Il emploie trente mille ouvriers. Il réalise des bénéfices énormes. Il a lui-même un fils, Henri, que nous verrons, après bien des traverses, épouser Mlle Suzanne de Touringe. Cette fille des marquis de Touringe s’appellera Mme Roche. Ainsi, princes et marquis,