Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des légendes pour ses enfans, adapter ceux qu’il y a partout, et des légendes des Saints aussi en bonne prose russe très populaire. Joukosky est d’avis qu’on peut lire aux enfans beaucoup de livres qui ne sont pas écrits pour eux, et qu’on peut leur donner les plaisirs de l’imagination, mais il faut faire un choix; les contes de chevalerie par exemple, tout ce qui est poétique et comique, et des poésies, des livres bien écrits, et ne jamais leur donner des choses laides, des caricatures, des choses extravagantes. Pouchkine a été de son avis : « De mon temps on lisait trop peut-être. Ma sœur a lu à 15 ans la Nouvelle Héloïse, à 12 ans j’avais lu tout ce qu’il y avait dans la bibliothèque de mon père, avant d’aller au Lycée. Jusqu’à 7 ans j’étais lourd, taciturne, très peu développé, mais dès que j’ai su lire, j’ai commencé à réfléchir, à comparer, et je suis devenu loquace! J’étais dévoré de curiosité, je voulais tout lire, tout savoir. Jusqu’à 7 ans ma seule littérature a été les contes de ma grand’mère et de ma bonne Arina, c’est pourquoi je ai les mis en vers. Stenka Razine a été mon premier héros, j’ai rêvé à lui avant 8 ans déjà! » Il a ajouté : « Smirnoff a raison de dire que l’œil et l’oreille commencent l’éducation et qu’il faut éviter de les dépraver parle laid, l’horrible. Si nous pouvions retrouver les joujoux des Grecs et des Latins, on aurait une révélation sur l’éducation des premières années, celle qui a précédé l’instruction et en a été la base même. Remarquez que l’enfant jusqu’au XIXe siècle a été vêtu comme les grandes personnes ; la vie commençait très tôt, on mariait des enfans ; en même temps le rôle du petit garçon et de la petite fille dans la famille était très effacé, et pourtant on ne les traitait pas en enfans, on les faisait contribuer indirectement à toutes les combinaisons de famille, de fortune. Mariés à 12 et 15 ans, on les lançait dans la vie à l’âge où commence l’éducation, ou plutôt l’instruction véritable. Était-ce un tort? Je n’en sais rien, cela faisait des hommes et des femmes, ils n’étaient pas plus frivoles que nous, peut-être. A présent on tient plus à les faire étudier, on finira par créer des pédans et des bas-bleus ; on instruit plus, mais on élève moins pour le rôle qu’on doit jouer dans la vie. »

Le Messager d’Europe de décembre 1893 contient une grande étude de M. Trifonof sur le compositeur Mousorgsky, qui fut, sans conteste, le plus original, le mieux doué et le plus absolument russe des musiciens russes. Les études sur les musiciens, malheureusement, n’ont d’intérêt que pour ceux qui ont entendu leur musique, et la musique de Mousorgsky, assez peu connue du public russe, est tout à fait inconnue du public français. Mais peut-être le moment serait-il venu pour nous de la découvrir. Nous avons besoin, à cette heure, de nourritures étranges et qui viennent de loin : l’exotisme, la bizarrerie des opéras de Mousorgsky auraient grande chance de nous plaire. Je