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qui est le débiteur ; que les revenus du commerce et des professions libérales étaient atteints par les patentes ; enfin qu’il ne restait à envisager que les pensions, les traitemens et les salaires. Ces revenus, il est vrai, n’ont pas jusqu’ici un impôt correspondant qui les vise d’une manière expresse ; mais est-il vrai qu’ils échappent au fisc ? Non, assurément, pas plus que la rente elle-même ne le fait d’une manière absolue. S’il y a des revenus et des impôts qui correspondent symétriquement les uns aux autres, il y a aussi des impôts qui n’ont pas une application aussi directe à des revenus déterminés. Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils s’efforcent d’atteindre par une autre voie les revenus que l’on dit indemnes, et qui ne le sont pas ? Notre système d’impôts date de cent ans. Les hommes qui l’ont établi ont visé tous les revenus, sans en excepter aucim. C’est le but de l’impôt personnel mobilier et de l’impôt sur les portes et fenêtres. M. le ministre des Finances les supprime : soit ! Seulement il les remplace aussitôt par un autre, qui est de même nature et qui aura le même effet. Mais le jour où, par des procédés nouveaux, on aurait sûrement et équitablement atteint les uns après les autres tous les revenus, il ne faudrait pas se contenter de remplacer ces impôts, il faudrait les supprimer comme faisant double emploi.

Moins on touchera à notre régime fiscal, mieux on fera. Les impôts les moins lourdement sentis sont ceux que la routine nous a rendus familiers. La prudence conseille de ne porter sur eux qu’une main discrète et prudente. Ce serait une épreuve délicate de frapper d’un impôt spécial et surajouté les petits rentiers, les fonctionnaires, les employés attachés à de grandes entreprises privées, les artistes, les hommes de lettres, etc., en recherchant leurs traitemens, émolumens ou salaires. On atteindrait par là, dans ses habitudes et dans ses mœurs, toute la petite bourgeoisie française, c’est-à-dire la classe, — puisqu’on parle de classe, — qui fournit la clientèle naturelle de tous les gouvernemens, et qui a été, dès le premier jour, celle de le république, avec une fidélité et parfois une intrépidité qui ne se sont jamais démenties. Il faudrait le faire pourtant, malgré les inconvéniens politiques qui pourraient en résulter, si la justice sociale l’exigeait, et si l’équilibre des charges fiscales était rompu chez nous au profit des classes modestes auxquelles le travail et l’économie assurent de l’aisance, et au détriment des classes pauvres. Il le faudrait si des sources importantes de revenus échappaient vraiment à toute taxation. Heureusement il n’en est rien : plus on étudie nos impôts, leurs incidences et leurs répercussions, plus on s’en convainc. Qu’il y ait des réformes à faire, M. le ministre des Finances l’a prouvé lui-même par son projet de budget ; mais qu’il y en ait aussi à ne pas faire, cela n’est pas moins incontestable, et la commission du budget, aidée par sa sous-commission, n’a pas tardé à s’en rendre compte. La Chambre montrera-t-elle les mêmes dispositions ?