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Espagnols et des Hollandais. M. le Prince court au-devant d’eux, ne leur permet pas de se déployer en plaine, les refoule dans les bois, les suit, et se trouve en présence du prince d’Orange, qui, posté au Prieuré-Saint-Nicolas avec le centre des alliés, attend l’armée de l’Empereur.

Celle-ci avait l’avant-garde et déjà prenait son bivouac vers Haine-Saint-Pierre. Distrait par la présence d’une brigade de cavalerie française qui vient d’apparaître dans une direction inattendue, M. de Souches hésite, puis se rend à l’appel de Guillaume. Condé ne lui laissera pas le temps d’arriver. Lui-même d’ailleurs n’est pas libre de s’arrêter. Il ne peut ni tourner le dos, ni rester immobile dans les bois et les ravins, au pied de cette hauteur couronnée de soldats menaçans. D’ailleurs Condé pratique la maxime que Napoléon a formulée : « Soutenir l’offensive jusqu’à la dernière extrémité, pousser toujours à fond les attaques » ; et il continue de pousser à fond. Le Prieuré est enlevé, l’escorte des bagages dispersée; l’ennemi abandonne ses voitures, ses pontons, ses blessés; il se retire malmené, quoique sans débandade.

La fortune reste favorable; mais à chaque pas les sacrifices augmentent; à chaque choc le succès est moins éclatant, moins complet, plus chèrement acheté. Les renforts qui rejoignent successivement ne compensent pas la supériorité numérique que va recouvrer l’adversaire, ni la fatigue de ces troupes qui, depuis le matin, courent d’assaut en assaut et ne cessent de charger que pour parcourir rapidement de grands espaces. La belle armée de l’Empereur est là tout entière, à quelques centaines de mètres[1], fraîche, intacte, sur de bonnes positions où elle recueille les troupes en retraite.

La nature des lieux et les circonstances ne permettaient pas aux Français de s’établir sur le terrain qu’ils venaient de conquérir. Si l’on cessait de marcher en avant, il fallait reculer, dégringoler toutes ces pentes laborieusement gravies, avec l’armée impériale dans le dos. — C’est pour le coup que celui qui était l’âme de l’armée alliée, le prince d’Orange, aurait eu le droit de dire qu’il avait gagné la bataille de Seneffe ! — A battre en retraite devant ces troupes fraîches, aguerries, il y avait plus de péril qu’à soutenir l’offensive. Et à trois heures de l’après-midi, M. le Prince, combattant depuis le jour, entreprit l’attaque de Fayt.

Il la conduisit avec furie, mais non sans méthode. Admirablement secondé par ses lieutenans et par ses troupes, il déploya toutes les ressources de son génie tactique, déjoua les mouvemens tournans, changea deux ou trois fois son plan, manœuvrant par

  1. Il y a environ 1100 mètres entre le Prieuré-Saint-Nicolas et le clocher de Fayt, réduit de la dernière position des alliés.