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plusieurs inscriptions appartiennent souvent à la même personne, nul doute que le nombre des rentiers sur l’État ne doive se chiffrer par millions d’individus et par millions de familles. Cette dette nationale, cependant, dont l’histoire nous dit les origines, cette dette colossale, presque également grossie par la guerre et par la paix, on nous la donne souvent comme une redevance ruineuse, payée à la féodalité financière. De soi-disant « sociologues » ont eu le front de nous représenter les emprunts publics comme une sorte d’hypothèque prise par la haute banque sur les peuples modernes. A les en croire, les rentes dues par l’État seraient un tribut annuel, imposé aux gouvernemens par la finance cosmopolite, par la banque juive en particulier[1]. On est honteux d’avoir à réfuter de pareils enfantillages. Impossible de moins comprendre le rôle de la Banque, ou de mieux le défigurer. Si les banquiers souscrivent les emprunts d’États (en prélevant parfois des commissions excessives), ce n’est point pour en garder les titres dans leurs caisses, mais bien pour les placer dans le public ; et ce n’est pas eux, c’est la foule anonyme des souscripteurs de tout ordre qui en touche les intérêts. De même, s’il est vrai que beaucoup de pays sont, par leurs emprunts extérieurs, assujettis à payer à l’étranger un juste tribut, ce n’est pas, d’habitude, aux maisons de banque. Juifs ou chrétiens, les banquiers ont hâte de se débarrasser des emprunts qu’ils sont chargés d’émettre ; et s’il est un reproche à leur faire, c’est celui de ne pas toujours se préoccuper assez de la solvabilité des États dont ils offrent les titres au public. L’Italie, l’Espagne, les États de : l’Amérique du Sud, la Grèce, l’Autriche-Hongrie, la Turquie, l’Egypte, la Russie surtout, sont, à cet égard, les tributaires de la France ; mais ce n’est point à la haute banque, c’est à des Français de toute classe, souvent à de petits bourgeois, à de petits employés, à des paysans, à des domestiques, que le tsar, le sultan ou le khédive payent l’intérêt des milliards empruntés en leur nom. Voilà, quant aux fonds d’État, à quoi se ramène le prétendu vasselage auquel la féodalité financière a réduit les peuples et les gouvernemens modernes[2].

  1. « Jérusalem a imposé tribut à tous les empires. La première part du revenu public de tous les États, le produit le plus clair du travail de tous, passe dans la bourse des Juifs, sous le nom d’intérêts de la dette nationale. » Cette singulière assertion, souvent reproduite en France et à l’Étranger, est empruntée textuellement à un article signé Wolski dans le Contemporain du 1er juillet 1881. Voyez la Russie juive du même auteur (1889, 1891), p. 25. Cf. M. Éd. Drumont, la Libre Parole, 30 janvier 1894, article sur la Conversion.
  2. Nous aurons du reste à revenir, dans la suite de ces études, sur les rapports de la haute banque et des gouvernemens.