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paroles, des actes. Non è il dire che importa, ma il provvedere. Hésitent-ils encore, tâtonnent-ils encore, cherchent-ils encore à qui s’allier, M. Sidney Sonnino ou son journal le leur apprend en une phrase qu’on jurerait extraite des vrais classiques italiens, des politiques du Chiquecento : « Allez au plus fort, à celui qui doit réussir. Votre métier de ministres est de deviner quel est celui-là et de vous unir à lui par un traité. » M. Pantaleoni, plus âgé et disciple d’une autre école, y met plus de façons. Ce serait Alceste, s’il n’était philanthrope : « Je ne dis point cela, mais enfin, lui disais-je… » Avec l’autorité qu’il doit à une connaissance parfaite du personnel politique de l’Europe, connaissance acquise, sur place, par de nombreux voyages d’études, et à Rome, par une hospitalité aimable et largement ouverte, M. Pantaleoni passe successivement en revue les divers pays. Correctement, courtoisement, il reprend et il précise les griefs, fondés ou imaginaires, de l’Italie contre la France : « Je ne vous dis pas qu’il y ait en France des hommes politiques dignes de ce nom qui pensent véritablement à une restauration du pouvoir temporel, mais enfin je vous dis que j’ai trouvé, en France, l’opinion publique bien changée sur notre compte. » Et ailleurs, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, quelle était la situation morale du royaume ? M. Pantaleoni sincèrement et tout de même un peu volontairement pessimiste, montrait l’Autriche dédaigneuse[1], M. de Bismarck hautain et même menaçant, l’Angleterre convaincue « que l’Italie est ruinée et la traitant comme un millionnaire, comme un richard traite les faillis »[2]. L’isolement, et pourquoi ? « Parce que personne ne nous prend au sérieux. » Et pourquoi ne prend-on pas l’Italie au sérieux ? Parce qu’elle ne sait pas se résoudre, s’armer, se mettre en état de contracter l’alliance ou les alliances nécessaires. Parce que, au carrefour où elle est placée, elle ne sait pas trouver et choisir son chemin. La route qui va à Berlin ne passe pas par Paris. Or, il faut aller à Berlin, sous peine de perdre même Vienne où l’on est allé.

En route donc, pour Berlin, par Vienne ! Les démocrates seuls font entendre une timide protestation. Le sénateur Luigi Zini apostrophe un ministre, M. Zanardelli : « Souvenez-vous du bastion de Brescia ! — Je me souviens, répond M. Zanardelli, que, dans le cimetière de Brescia, sur la tombe d’un général autrichien, est gravé ce vers :


Oltre il rogo, non vive ira nemica
  1. Il faisait allusion à l’incident Kallay-Andrassy, des propos mal interprétés dans une Commission de la Délégation hongroise, — Chiala, pp. 134 et suiv.
  2. Discours de M. D. Pantaleoni, sénateur du royaume, — Déc. 1881. — Chiala, p. 211. Ci crede rovinuti, e ci tratta come un locupleto, corne un ricco tratta i falliti.