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américain. Ce baptême universitaire marquait une noble ambition, que le zèle des professeurs et des élèves s’appliqua dès lors à justifier. La colonie entière fut en fête le jour solennel du mois d’août 1642, où les neuf premiers étudians de Harvard reçurent le grade de bachelor pro more Academiarum in Anglia. L’œuvre grandit d’abord lentement. Sa situation financière devait être loin de satisfaire aux aspirations de ses fondateurs ; car la législature locale, en dépit des convictions puritaines qui l’animaient, autorisa plusieurs fois les administrateurs à se procurer de l’argent par des loteries : celle de 1806 produisit vingt-cinq mille dollars (cent vingt-cinq mille francs). L’ère de prospérité commença vers la seconde décade du XIXe siècle. Mais c’est surtout pendant les vingt dernières années que les progrès devinrent rapides et que la transformation s’acheva.

Le collège, enfermé jadis dans le cadre un peu étroit des idées confessionnelles, présente actuellement l’ampleur de la véritable université moderne, avec son personnel enseignant, son outillage et ses organes complets. Deux cents maîtres de tout ordre y distribuent la haute instruction à deux mille étudians, dont l’esprit laborieux, stimulé par une bibliothèque de trois cent cinquante mille volumes, peut largement puiser aux différentes sources du savoir humain. Tous les instrumens de travail, tous les moyens perfectionnés d’apprendre, laboratoires, muséums, observatoire, jardins botaniques, etc., sont offerts à l’initiative intellectuelle de chacun. L’installation matérielle saisit les regards par ses proportions grandioses. Deux chapelles, sept dortoirs, cinq vastes maisons d’habitation, sept buildings, parmi lesquels le bel édifice en granit logeant la bibliothèque, s’élèvent sur un quadrangle qui couvre presque dix hectares. Encore ces constructions diverses ne figurent-elles que pour moitié environ dans le compte total des propriétés appartenant au collège. Il faut y joindre en effet les nombreuses dépendances et les importantes annexes situées soit à Cambridge même, soit à Boston, et jusque dans les campagnes environnantes. La pensée se reporte vers l’unique bâtiment d’autrefois, établi sur un pauvre domaine, dont la superficie ne dépassait guère un hectare ; la semence primitive a fructifié.

Aujourd’hui le budget annuel de l’université atteint un million de dollars (cinq millions de francs). Néanmoins les ressources suffisent à peine aux besoins, malgré la prudente administration du conseil et l’habile gestion du trésorier qui fait rendre à ses fonds plus de cinq pour cent, et les coffres seraient toujours vides, si la générosité des « fils de Harvard » ne s’empressait pas de les remplir. Tant la vie circule intense dans tous les organes