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de pousser l’idée à fond et de ressusciter sur place, d’un bout à l’autre, depuis l’Annonciation jusqu’à la Pentecôte, la légende évangélique, en oubliant toutes les traditions antérieures, afin de lui rendre, par l’exactitude des lieux et des acteurs, une vraisemblance plus saisissante et plus immédiate. Depuis les pieux et hardis naturalistes du XVe siècle, depuis Fra Beato Angelico et Jehan Foucquet, c’est la plus libre et la plus complète tentative qu’on ait faite pour rajeunir et humaniser l’iconographie chrétienne. On nous assure que M. James Tissot a entrepris ce redoutable travail avec la même foi que ses illustres prédécesseurs. C’est tant mieux pour lui et pour son œuvre. La gravité convaincue qu’on y respire partout double la valeur des pages bien réussies et force, dans les passages moins heureux, l’indulgence et la sympathie des plus indifférens.

Les 270 compositions déjà faites d’après les quatre Evangiles (M. Tissot nous en promet 650) n’offrent pas, cela va sans dire, un égal intérêt. Il y aurait lieu de les prendre en détail, en relisant les textes, de les comparer avec les interprétations antérieures (et la comparaison serait bien des fois à l’honneur de l’enlumineur contemporain), mais c’est une étude trop longue et trop grave pour être entreprise ici, et qu’il faut réserver pour le jour où M. Tissot aura tout fini. Ce qui frappe, à première vue, dans l’ensemble exposé, c’est que l’artiste, avec un sentiment très varié de l’arrangement pittoresque, est plus narratif que lyrique, plus idyllique que tragique. Comme Renan, c’est par l’Enfance du Christ, la Prédication, les Paraboles, la Semaine Sainte, tout ce qui est plus à notre portée, plus familier et plus humain, qu’il a été le plus vivement ému. Quand il nous montre, dans un milieu oriental, avec des costumes orientaux, l’Épreuve des Prétendans, les Fiançailles de la Vierge, l’Anxiété de Saint Joseph, l’Adoration des Bergers, nous sommes vraiment ravis, non pas seulement de la nouveauté du décor et de l’arrangement, mais surtout de la vraisemblance expressive des figures dans leurs attitudes et dans leurs physionomies. Chaque fois que la scène se passe en plein air ou avec quelque fond de campagne entrevu à travers une voûte ou une lucarne, le paysage, un paysage réel, étudié sur place avec une rare conscience (le peintre tient à nous en fournir les preuves par une quantité de croquis annexés), devient, comme chez les divins Quattrocentisti de Florence et de Bruges, un complément lumineux dont l’intervention est décisive. Les Rois Mages en voyage, l’Enfance de Saint Jean-Baptiste, la Tentation dans le désert, Jésus sur le pinacle du Temple, les Vocations de Saint Pierre, de Saint André, de Saint Jacques, de Saint Jean, la