regardait plus la nature, il assurerait plus vite sa personnalité. M. Desvallières, si coloriste et si bien doué, ne donne pas dans son Narcisse, laborieusement encombré de réminiscences pesantes, la mesure de son dilettantisme savoureux. Pour le juger, il faut aller voir, dans la salle des dessins, ses Joueurs de balle, grandes figures nues, au crayon noir, traitées avec une décision ferme et nerveuse, dans le goût florentin du XVe siècle, librement néanmoins et à la moderne, et qui eussent justement ravi son maître Elie Delaunay. C’est par des études de ce genre qu’on se rend capable de donner quelque jour du corps à son rêve, quel que soit le rêve ; aussi sommes-nous tranquille sur l’avenir de M. Desvallières. Nous le sommes moins sur celui de beaucoup d’autres qui croient travailler en accumulant sur de vastes espaces des fantômes vagues dans des décors vides.
La nécessité d’un fond solide et d’une exécution ferme dans la peinture, surtout dans le tableau, est telle, que ces qualités matérielles suffisent à classer très haut un ouvrage, même lorsque cet ouvrage ne révèle aucune originalité particulière d’invention ou de technique. L’un des tableaux que regardent avec le plus de plaisir les amateurs aux Champs-Elysées, n’est-il pas la Main-chaude, de M. Roybet, le pendant et la suite du beau morceau qu’il avait exposé l’an dernier : Propos galans ? Mêmes figurans dans la même auberge, même maritorne, corpulente et rubiconde, plongeant, cette fois, sa tignasse rouge dans les genoux d’un des reîtres avinés assis sur un tonneau, tandis que les autres ricanent autour d’elle. Quelques personnages supplémentaires, un cavalier ébouriffé, frère jumeau du cavalier entreprenant du Propos, une jeune fille en capeline blanche, costumée à la hollandaise, comme les autres, complètent agréablement le groupe.
Il n’est pas besoin d’être un grand visiteur de musées pour voir d’où procède la virtuosité de M. Roybet. Frans Hals, Metzu, Van der Helst, Brauwer, Jordaens, sont ses meilleurs conseillers, quoiqu’il ne les écoute pas également en tout ; s’il tient de Jordaens, par exemple, sa verve d’allures, sa grosse jovialité, sa liberté de touche, il ne lui emprunte pas toujours cette chaleur puissante du coloris qui excuse et transforme, chez le vieux Flamand, les plus basses vulgarités. Quoi qu’il en soit, cette Main-chaude est brossée, d’un bout à l’autre, avec une telle sûreté de facture, une telle fermeté de rendu qu’il y faut bien reconnaître une main d’ouvrier supérieur et une intelligence de virtuose remarquable. De semblables morceaux n’ouvrent pas sans doute à une école des horizons nouveaux, mais ils la maintiennent dans un utile souci de la technique sérieuse et du métier suffisant.