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fera mieux comprendre le double état d’esprit que j’essaye de démêler. Si l’illustre M. Gladstone publiait demain un article ou s’il donnait à un journaliste une consultation sur un point quelconque de nos affaires, toutes les intelligences réfléchies feraient leur profit de ce qu’il pourrait y avoir à retenir dans les vues d’un homme d’Etat aussi expérimenté ; mais que l’ambassadeur du Foreign Office s’avisât de communiquer ces indications à nos préfets, le procédé soulèverait des tempêtes d’indignation. La comparaison est recevable pour les Français détachés de l’obédience romaine, attentifs à toute voix sage et autorisée ; elle l’est même, je crois, pour les fidèles, avec la nuance de soumission filiale qui leur fait ajouter un prix particulier aux directions, aux enseignemens, si l’on veut, donnés par leur Père commun ; sans qu’aucun d’eux voie dans ces enseignemens sur les matières politiques et temporelles un commandement exprès. Il est des choses qu’un père a pouvoir de commander à ses fils, d’autres qu’il fait sagement de leur conseiller et que ceux-ci font sagement d’écouter dans leur libre détermination. Telle est, semble-t-il, la juste mesure, dans cette épineuse question de l’intervention pontificale que les passions de parti se sont acharnées à obscurcir.

Revenons au débat du mois dernier. C’est, puisqu’il faut appeler le monstre par son nom, notre vieux gallicanisme qui réapparaissait dans le langage gouvernemental, et qui touchait, dans les cœurs les plus dévoués au Saint-Père, une fibre toujours sensible. Avant de charger contre ce monstre, aujourd’hui si démodé, il serait équitable de rechercher les sentimens complexes et sincères d’où il est issu. Si l’on descendait jusqu’aux racines profondes, on trouverait sous le gallicanisme de nos pères une angoisse intime de leur conscience chrétienne et française, un effort pour concilier les deux puissances souveraines qui gouvernaient leurs âmes : le sentiment religieux et le sentiment patriotique ; ce dernier sous la forme qu’il revêtait jadis, obéissance et fidélité au roi de France. Cette lutte instinctive est très ancienne, nul ne l’ignore. Elle remonte bien plus haut que la déclaration de 1682, jusqu’à l’âge d’or de la foi religieuse. On entend dire parfois, devant certaines résistances modernes qui semblent offensantes pour l’autorité pontificale : « Eh ! quoi, la France de saint Louis !… » — Sait-on bien que saint Louis s’arrogeait un droit qui paraîtrait exorbitant aujourd’hui, qui n’irait à rien moins qu’à supprimer les quêtes pour le denier de saint Pierre ? Dans la « Pragmatique sanction » attribuée à ce monarque, il est défendu de lever les taxes d’argent imposées par la cour romaine aux églises de