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du fidèle et l’indépendance du citoyen ? C’est la manifestation, dans l’ordre religieux, d’une éternelle contradiction de notre cœur, lorsqu’il pèse ses devoirs généraux envers l’humanité, ses devoirs particuliers envers le groupe où le sort nous a fait naître. Cette contradiction surgit et inquiète l’esprit, dès qu’il réfléchit sur la guerre, sur le droit de conquête coloniale, sur nos rapports intellectuels, économiques et sociaux, avec les autres peuples. J’imagine que plus d’un socialiste sincère, combattu entre son attachement héréditaire à la patrie et sa foi aux dogmes de l’Internationale ouvrière, traverse aujourd’hui des anxiétés fort semblables à celles d’un catholique gallican. Croit-on qu’il n’y ait qu’hypocrisie et duplicité dans les réticences embarrassées d’un Bebel ou de ses coreligionnaires français ? Faisons plus d’honneur aux hommes ; dans tous les ordres d’idées, les fils d’Adam essaient instinctivement de résoudre une difficile équation entre l’individuel et l’universel. Ils s’accommodent de solutions approximatives, pratiques, qui scandalisent les logiciens de l’absolu. J’accorde à ceux-ci que nous faisions un raisonnement bizarre, s’ils m’accordent que nous cédions à un sentiment fondé sur la nature et sur l’histoire, quand nous repoussions l’autre jour un vicaire qui nous apportait, par des voies incorrectes, les conseils excellens d’un pasteur que nous vénérons.

Ceci dit, il faut bien reconnaître que le débat, comme toutes les discussions où l’on brandit les articles organiques, avait un côté légèrement ridicule, réjouissant pour l’ironiste ; pour l’homme moderne, affranchi de préjugés, que chacun de nous porte dans le cerveau, et qui se moque là-haut du vieil homme de la vieille France tapi au fond de notre cœur. Quel était l’article transgressé ? Évidemment l’article II. — « Aucun individu se disant nonce, légat, vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de toute autre dénomination, ne pourra, sans la même autorisation (celle du gouvernement consulaire), exercer sur le sol français aucune fonction relative aux affaires de l’Église gallicane. » — Une feuille plus gauloise que gallicane avait surpris et jeté dans la masse des informations quotidiennes un document où l’on pouvait voir à la rigueur une effraction du mur de clôture napoléonien. Tandis que les représentans du pouvoir foudroyaient cet attentat, il nous semblait entendre le chef d’une de nos grandes gares s’efforçant d’appliquer, entre deux rapides, un décret impérial qui prescrirait aux entrepreneurs de messageries d’exiger, au nom de l’Empereur, les passeports de tout voyageur monté dans la diligence. Pour que la loi fût observée, il ne manquerait que des entrepreneurs de messageries, un empereur, une diligence et des