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tribune que le fait était sans précédens, ce qui était inexact : les précédens sont, au contraire, assez nombreux depuis le commencement du siècle, et ils ont toujours été traités suivant les mêmes principes et dans le même esprit. Il n’y avait donc pas lieu de s’émouvoir outre mesure d’un écart de zèle que les radicaux seuls prenaient au tragique, alors qu’il suffisait de le prendre au sérieux. C’est ce que le gouvernement s’est contenté de faire. M. Casimir-Perier a télégraphié à notre ambassadeur au Vatican pour se plaindre d’un procédé inadmissible, et il n’a pas tardé à obtenir du nonce lui-même la promesse formelle que le fait ne se reproduirait plus. Que fallait-il davantage ? M. Casimir-Perier a déclaré l’incident clos, et la Chambre a partagé son sentiment.

Mais il était impossible de séparer l’incident lui-même de la situation générale, et c’est d’ailleurs ce que personne ne voulait faire, ni à l’extrême gauche, ni sur les bancs du gouvernement. Les radicaux soutenaient que, si le nonce s’était laissé entraîner à une démarche incorrecte, la responsabilité en revenait à la faiblesse du ministère à l’égard de la droite cléricale. Ils voyaient là une manifestation nouvelle de cet « esprit nouveau », affirmé à la tribune par M. Spuller, et dont ils ont tiré beaucoup plus de conséquences à leur avantage, que le gouvernement ne l’a fait lui-même au profit d’une politique d’apaisement et de conciliation. Ils montraient le pape, qui ne se contentait pas de régner, mais qui encore gouvernait chez nous par son intervention auprès du clergé. Le gouvernement aurait été en effet bien coupable s’il avait mérité tous ces reproches. Mais il a suffi à M. Casimir-Perier de lire à la tribune une dépêche adressée par lui à notre ambassadeur auprès du Saint-Siège, longtemps avant la lettre du nonce, pour montrer combien ils étaient mal fondés. Jamais les principes sur lesquels repose un gouvernement laïque n’avaient été fixés d’une main plus ferme. Il s’agissait déjà, dans cette dépêche, de l’application de la loi sur les fabriques. M. Casimir-Perier maintenait le droit de l’État de régler seul cette matière, mais il ne se refusait pas, lorsque tout le monde se serait soumis à la loi et que celle-ci aurait subi l’épreuve de l’expérience, d’écouter les observations des intéressés sur les défauts qui auraient pu s’y manifester, et d’en tenir compte. S’élevant à un point de vue plus général, M. le Président du Conseil donnait l’assurance qu’un clergé respectueux de toutes nos lois trouverait auprès du gouvernement de la République appui et protection contre des attaques injustes et passionnées. Le ton de la dépêche était net et péremptoire, plus que ne l’est ordinairement celui des dépêches diplomatiques, et M. Casimir-Perier l’a encore accentué par sa lecture à la tribune. L’effet sur la Chambre a été immense, et, à un moment même, les radicaux n’ont pas pu s’empêcher d’applaudir. La victoire du gouvernement a été complète, écrasante, et l’atmosphère