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ses fonctions et lui avait confié la conduite des affaires du dehors. Les contemporains ne tarissent pas sur ses mérites. Brantôme l’appelle, d’une expression magnifique, « le très grand et le non-pareil de la chrétienté pour les affaires de l’Etat, M. de Villeroy. » — « M. de Villeroy, dit l’ambassadeur vénitien, surpasse en mérite tous les ministres du roi : c’est un esprit vaste ; il a une inclination et une aptitude unique à pénétrer le secret des autres cours ; il les connaît à fond. Voilà quarante ans qu’il exerce la charge de secrétaire d’Etat. Il l’a remplie sous quatre rois. Ses mérites lui assurent l’estime et la confiance de Sa Majesté, quoique, cependant, il ait compté parmi ses ennemis. Aujourd’hui aux affaires d’Etat, il est digne de toute confiance. Il n’a peut-être pas 30 000 écus de rente en tout et pour tout, et il supporte les dépenses très lourdes de sa charge… Il est âgé de soixante-six ans environ (ceci est écrit en 1605) ; de complexion délicate et toujours souffrant, il serait mort depuis longtemps s’il ne s’était soumis à un régime très ponctuel et très minutieusement observé. » Cet homme de cabinet, ce vieillard valétudinaire avait été le grand exécuteur des volontés du feu roi. Le recueil des Lettres missives renferme les preuves innombrables de son activité : ce sont ces excellentes instructions et dépêches d’État, écrites d’un style à la fois ample et sobre, qui sont les premiers modèles de la belle langue diplomatique du XVIIe siècle.

J’ai déjà parlé de Sillery, d’abord élève, plus tard rival de Villeroy, qui avait succédé à Bellièvre dans la charge de chancelier, et dont le savoir-faire ne manquait guère que de probité et de courage. Le quatrième des ministres de Henri IV était le président Jeannin. C’était celui auquel le feu roi témoignait le plus de cordiale confiance. Né en Bourgogne, jurisconsulte savant, élève de Cujas, il avait été, lui aussi, ligueur et chef du conseil particulier du duc de Mayenne. Henri IV sut l’enlever à ses adversaires, et lui dit, avec sa ronde et adroite bonhomie « que, puisqu’il avait été fidèle au duc, il serait aussi fidèle au roi. » Il l’employa surtout dans les négociations. C’était un esprit humain et grave, avec ce beau langage abondant et fleuri des Bourguignons. Le cardinal Benlivoglio l’entendit, un jour, parler dans un conseil, et dit que « la Majesté du Roi rayonnait sur son visage. » Il avait une figure vénérable, avec une longue barbe, des yeux doux, et dans tout l’aspect quelque chose d’étoffé et de chaud, comme les fourrures parlementaires dont il s’enveloppait. Les dépêches qu’il écrivit, alors qu’il négociait la trêve de Hollande, sont des morceaux remarquables et qui passaient aussi pour des modèles, Richelieu s’inspira souvent de leur lecture. Henri IV trouvait,