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la direction des affaires. » Jusque-là il conseille de louvoyer, de gagner du temps, de procéder par douceur plus que par force et de carguer les voiles tandis que le vent souffle. Il énumère, exagère les dangers que court l’Etat. Tout l’arsenal de la vieille politique machiavélique doit être mis en œuvre pour les conjurer. Il faut dissimuler, diviser les adversaires par l’intrigue, promettre beaucoup, donner beaucoup, acheter les consciences : « Encore qu’il semble que ce soit de la honte d’acheter de nouveau les sujets et de capituler avec eux comme avec des ennemis, la honte en est aux sujets et non à Sa Majesté, laquelle sera plus louée de répandre l’or et, l’argent que de répandre le sang de ses parens et principaux officiers. » Suivent une série de conseils pratiques : éloigner les grands, les renvoyer dans leurs gouvernemens, sauf M. le Prince qu’il vaudrait mieux garder sous la main ; s’assurer de la fidélité des gouverneurs des villes et des parlemens, renforcer les troupes étrangères, mettre les finances dans les mains de personnes dont on soit sûr, « avoir des gens dans la maison des princes qui avertissent de tout ce qui s’y passe », et, par-dessus tout, « conserver les serviteurs et les ministres, s’offenser et se piquer des injures qui leur sont adressées et s’en ressentir comme si la reine elle-même les avait reçues. » Après cet exposé, plein de finesses habiles et de savantes réticences, le vieux ministre a beau s’écrier « qu’il importe à Sa Majesté de faire des actions viriles, de parler haut et commander de même » : on sent que cette rhétorique porte à faux et que le « Débiteur », comme l’appelle de Thou, a dévié de la voie où Henri IV s’était avancé d’un pas si sûr et qu’il avait cru pour longtemps ouverte à ses descendans. Pourtant, dans ce premier mémoire, l’influence du règne précédent reste sensible. Les paroles, sinon les actes, montrent encore une certaine fierté. Au dedans, si les princes ne cèdent pas, il est question de les châtier. Au dehors, les alliances espagnoles ne sont pas envisagées comme le but inéluctable ; le nom même de l’Espagne n’est pas prononcé ; tout au contraire, on parle en bons termes des alliances avec les princes voisins, c’est-à-dire allemands, et on conseille particulièrement à la reine d’entretenir de bons rapports avec l’Angleterre.

A quelque temps de là, les grands, apaisés d’abord, excités bientôt par les premières concessions, reviennent à la charge. Tel est le faible de cette politique ; elle les comble sans les satisfaire. Le comte de Soissons, notamment, demande la place de Quillebœuf. Nouveau mémoire de Villeroy. Son avis est toujours le même : tout faire pour sauvegarder la paix jusqu’à la majorité du roi ; ménager les princes pour les diviser ; refuser d’abord