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personne debout de l’ancien gouvernement. Tel était le résultat de ce voyage et l’œuvre de cette astucieuse Léonora que de Thou, narrateur classique de ces intrigues, accable du surnom de « Canidie ». Elle avait mis à profit l’absence de son mari pour élever à celui-ci un piédestal sur lequel la fatuité de l’Italien n’avait qu’à se dresser.

Elle n’était pas seule pour cette tâche. Dès cette époque, elle est entourée d’un groupe d’hommes nouveaux qui la dirigent ostensiblement. On le voit bien à un détail qui marqua l’issue de la conférence de Loudun. Les négociations traînaient à l’occasion d’une demande des princes visant directement le maréchal d’Ancre. Condé, qui avait jeté par-dessus bord nombre de ses amis, n’en avait pu faire autant de Longueville. Toujours obstiné, celui-ci avait déclaré qu’il ne ferait sa paix qu’à la condition que la question des places de Picardie fut réglée en sa faveur. On eut beau lui offrir les compensations les plus brillantes ; ses amis eurent beau insister et prendre la peine de lui dévoiler ses véritables intérêts ; il dit et répéta qu’il y allait de son honneur, qu’il ne voulait pas manquer à ses chers Picards, et il se buta. Que devait faire le maréchal d’Ancre ? On crut qu’il allait tenir bon de son côté. Maître de l’esprit de la reine, fort de la lassitude générale, il l’eût emporté. Mais Léonora quitta la cour en toute hâte. Elle accourut à Paris, fit venir son époux et lui conseilla un habile désintéressement. Par-là, elle mettait la dernière main à l’œuvre de captation entreprise depuis si longtemps. La reine mère se montra à la fois touchée et furieuse de l’étendue du sacrifice. Elle s’irrita contre les princes qui, en se montrant si cruellement exigeans, la frappaient dans ses plus chères affections, contre les ministres qui l’acculaient à des concessions humiliantes pour son amour-propre. Concini adressa à la reine une belle lettre rendue publique où il n’était question que de la paix et du bien de l’Etat. Il est superflu d’ajouter qu’il reçut, d’ailleurs, les plus amples et les plus généreux dédommagemens.

Tout cela est trop adroitement combiné pour qu’on n’y reconnaisse pas une autre pensée que celle qui, jusque-là, avait réduit les vues des Concini à un simple travail d’enrichissement personnel. Le choix du moment propice qui assurait à la reine une autorité indiscutée, l’adroite mise en œuvre de la fortune politique du favori, tout indique une main plus hardie, une conception plus ferme. C’est le moment, en effet, où l’on commence à distinguer, auprès des Concini, quelques silhouettes encore obscures, mais qui bientôt apparaîtront en pleine lumière ; parmi elles, on voit se profiler dans l’ombre la barbiche pointue de l’évêque de Luçon.