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d’abord agir pour assurer le succès de sa cause. Aujourd’hui, les quatre études forment un volume des œuvres complètes de Liszt publiées en allemand par les soins de Mme L. Ramann. A ne considérer que l’étendue de ce volume, et quand on songe à la prolixité de certains écrivains wagnériens, il semble que ce soit peu. Mais il suffit de lire ces pages de Liszt pour voir quel parfait modèle elles offrent d’exégèse à la fois poétique et musicale.

On prétend souvent qu’un artiste ne saurait être apte à la critique. Wagner déjà a prouvé le contraire, puisque, à vrai dire, c’est par la critique des conditions de l’art qu’il est arrivé à la possession complète de son génie. Liszt nous a aussi prouvé par ces études sur Wagner qu’on peut avoir l’âme d’un poète, être soi-même un artiste prodigieux, et que cela non seulement n’empêche pas de comprendre l’œuvre d’autrui, mais au contraire y aide et peut même servir à la mieux pénétrer. Et l’on ne contestera pas que Liszt était plus que personne au monde capable d’apprécier les œuvres de Wagner, en tant qu’œuvres d’art, au sens propre et technique du mot. Plusieurs des écrivains wagnériens les plus éminens ne furent jamais assez musiciens pour saisir le détail technique et l’architecture intime des partitions de Wagner ; et ils ont eu bien soin de ne pas s’y essayer. Quant aux purs techniciens qui ne pensent qu’à disséquer chaque jour plus minutieusement les partitions de Wagner, sous prétexte d’en mieux approfondir la structure, ils ne s’aperçoivent pas toujours qu’à force de sectionner et de spécialiser leur travail, ils s’éloignent de plus en plus de l’esprit même qui anime les œuvres et en constitue la vie, ce qui finit par les rendre incapables de les bien juger. Liszt n’est pas tombé dans cette faute : son sûr instinct d’artiste l’en préservait, en même temps que sa compétence lui permettait de percevoir et de faire ressortir avec une admirable netteté les qualités musicales des œuvres dont il parlait. D’ailleurs il ne sépare pas l’analyse musicale de l’analyse poétique et dramatique, et c’était déjà la seule manière dont il convenait de présenter Wagner.

M. Chamberlain, dans un livre dont j’aurai à reparler plus loin, soutient cette thèse que, pour arriver à une compréhension approfondie de Wagner, ce n’est ni Parsifal, ni Tristan et Yseult, ni les autres dernières œuvres qu’il faut d’abord étudier, mais bien justement Tannhæuser, et Lohengrin, et le Hollandais volant, parce que, dit-il, c’est dans les œuvres où le génie est pour ainsi dire en formation qu’il est le plus facile d’en découvrir les caractères. Renan a dit quelque chose de semblable… Aussi ne saurait-on trop conseiller la lecture de ce livre de Liszt à quiconque,